Notre constat : un service public sacrifié sur l’autel du consumérisme et du bon plaisir des plus riches

Le service public de la culture et des arts en France est unique au monde. Il est le fruit d’une vision ambitieuse, incarnée dans la mémoire partagée par des personnalités comme André Malraux ou Jack Lang, par des concepts comme la francophonie, l’indépendance, l’exception culturelle, la créolisation. La permanence d’un ministère de la Culture, à travers les décennies et les alternances, participe du rayonnement français. Cette ambition a permis la richesse des arts et de la culture dans notre pays. Les plus de 5 000 salles de cinéma, plus de 6 000 festivals, plus de 10 000 maisons d’éditions, plus de 200 000 intermittent·es du spectacles… sont autant d’atouts et de motifs de fierté pour notre pays.

Mais ce service public est désormais menacé. La crise sanitaire a accéléré les dynamiques nocives dans la culture à l’œuvre depuis trois quinquennats. Après les avoir qualifiés de « non-essentiels » pendant des mois, le pouvoir macroniste persiste à considérer les arts et la culture comme de simples éléments de consommation ou de communication. Absence totale de direction politique au ministère de la Culture, obsession réformatrice portée par des gens qui ne sont pas des représentant·es légitimes, gestion du patrimoine confiée à un présentateur télé, improvisation autoritaire dans les protocoles sanitaires, pendant que le gouvernement brade aux grandes entreprises et aux multimilliardaires les biens communs des arts et de la culture. Dans tous les domaines, le sentiment est le même : le pouvoir a abandonné le service public de la culture en France.

Ce recul n’est pas nouveau. Depuis 20 ans, les plans d’austérité se sont succédé aussi vite que les ministres, coupant dans les budgets et les effectifs des services publics de la culture et faisant de la « démocratie culturelle » un slogan vidé de son sens. Conséquence directe : les inégalités de pratiques culturelles subsistent. Pire, certains de ces écarts se creusent : les diplômé·es du supérieur sont désormais 4 fois plus nombreux·ses que les peu diplômé·es à avoir visité un musée ou un monument au cours des 12 derniers mois en 2018, un écart historique.

Ce retrait du pouvoir politique laisse le champ libre aux mastodontes de la finance et des industries culturelles. Dans l’audiovisuel, le livre, la musique, les jeux vidéo, le patrimoine, ces géants ont étendu leur mainmise en écrasant les acteurs indépendants, fragilisés par la crise sanitaire. Parmi eux, le milliardaire Vincent Bolloré, soutien de l’extrême-droite, s’accapare des filières entières, de la production à la distribution et la diffusion dans le livre, l’audiovisuel, le cinéma et la presse, pour son entreprise d’influence sur le débat public. Les plateformes étasuniennes comme Netflix, Amazon, Apple, ou Disney ont accéléré leur offensive contre le cinéma qu’elles veulent achever de convertir en simple « contenu » addictif pour n’être en concurrence qu’avec notre sommeil. C’est un véritable règne de la culture par algorithmes qui s’installe, sacrifiant l’humain, la curiosité et l’altérité au profit de l’automatisation, de la « satisfaction client » et du plus long et lucratif usage possible du « temps de cerveau disponible ».

Alors que cet appauvrissement de la diversité culturelle nuit à la multiplicité des récits et des idées et donc à la démocratie, les travailleur·ses de l’art sont les premiers à en pâtir matériellement. Ce sont les éclaireur·ses de la précarité systémique : isolement, pauvreté généralisée, administration kafkaïenne, ultra-concurrence pour survivre, injonction constante à déformer leur métier pour rentrer dans les cases de la bureaucratie néolibérale, etc. Une situation que les aides au rabais arrachées de haute lutte durant la crise sanitaire n’ont fait que prolonger, sur un fond d’incertitude constante qui pousse de plus en plus d’entre elles et eux à changer de métier, et qui menace donc clairement la liberté de création. Pour celles et ceux qui poursuivent, on leur demande de faire d’autres métiers, comme de la médiation dans les quartiers populaires ou développer l’attractivité touristique.

Tout cela alors que tous les services publics sont asséchés, que le ministère de la Culture fond à vue d’œil et que l’on enferme ses agent·es dans des tâches comptables où la pensée, leur connaissance des politiques culturelles et de leur histoire et le sens de leurs métiers n’ont pas leur place.

Enfin, alors que le manque de moyens reste la norme dans toutes les infrastructures culturelles publiques, c’est aux milliardaires et aux grandes entreprises qu’on offre le nouveau marché de pallier les investissements nécessaires. Des opérations très lucratives, grandement déduites de leurs impôts qui leur offrent de nombreux avantages en nature : de l’usufruit des biens publics pour des soirées privées au droit de regard de plus en plus insistant sur les œuvres et les programmations. Certains bénéficient directement des faveurs des responsables politiques complices, comme François Pinault qui vient d’ouvrir sa gigantesque galerie à la Bourse de commerce, offerte pour 50 ans par la mairie de Paris et dont les missions sont loin de celles du service public.

Le quinquennat Macron aura achevé la mutation du ministère de la Culture entamée durant les années Sarkozy et Hollande : remplacer l’émancipation collective par le consumérisme individuel.

Notre projet : réinstituer et pérenniser le service public des arts et de la culture

L’action publique dans les arts et la culture est depuis trop longtemps absente du débat public et considérée comme un bonus cosmétique et artificiel. L’émancipation collective doit faire partie des priorités d’un pouvoir politique soucieux de la dignité de tou·tes les citoyen·nes. La possibilité pour toutes et tous d’accéder à des expériences sensibles d’altérité et de pouvoir soi-même exprimer un rapport critique et poétique au monde est un élément constitutif de la citoyenneté.

Le temps libre doit pour cela prendre toute la place qu’il mérite dans nos vies. Mais pour que ce temps soit pleinement libre, il doit être également affranchi de l’injonction au consumérisme. C’est ce pourquoi un service public de la culture fort est nécessaire pour concevoir la société d’harmonie entre les êtres humains et avec la nature à laquelle nous aspirons.

Notre proposition est celle d’un ministère de la Culture guidé par des orientations politiques claires. Réaffirmant le rôle de l’État en matière de politiques culturelles, il doit affirmer le primat de sa politique sur les logiques financières, afin de garantir la souveraineté culturelle. Réaffirmant la création comme valeur fondatrice de société en tant que productrice des biens symboliques, il doit garantir le socle social nécessaire à l’indépendance des travailleur·ses de l’art – artistes, auteur·ices, intermittent·es, indépendant·es, etc. –, pallier les inégalités territoriales, créer les conditions de la rencontre de chacun avec l’art. Le ministère de la Culture et le service public de la culture seront dotés des moyens nécessaires pour mener leurs missions à bien, en portant le budget consacré aux arts et à la culture à 1 % du PIB par an. Cela entraînera notamment une augmentation de plus d’un tiers du budget du ministère de la Culture, et augmentera également les budgets consacrés à la culture des autres ministères et des collectivités territoriales ainsi que celui de l’audiovisuel public.

L’action publique doit aussi changer de méthode, d’horizon de temps et d’objectifs. À toutes les échelles, le temps long doit devenir la perspective principale, et non plus des critères quantitatifs immédiats, absurdes et inadaptés. Les opérateurs publics de la culture ne doivent pas viser la rentabilité, mais un travail de qualité au bénéfice du plus grand nombre.

Le rapport aux arts et à la culture se fait tout au long de la vie. Pour cela, il est essentiel que l’action publique dans la culture s’articule avec d’autres pans de l’action gouvernementale, comme l’Éducation nationale ou l’Enseignement supérieur et la Recherche, mais également la Ville, la Ruralité, la Santé et bien d’autres. La planification sera la clé pour mener à bien nos objectifs, parmi lesquels :

➔ Inscrire les arts et la culture dans une écologie politique à l’inverse des logiques productivistes et consuméristes

La bifurcation écologique fait partie des grands défis que nous devons relever. Le service public de la culture y tiendra une place cruciale. Tout d’abord, en offrant aux travailleur·ses de l’art de meilleures conditions de création, il favorisera la multiplicité des imaginaires et des récits qui peuvent être autant d’alternatives au récit individualiste de la publicité et du consumérisme. Ensuite, au sein des pratiques mêmes, dont un service public fort permettra la bifurcation écologique en accompagnant les changements structurels et techniques qui répondront aussi aux enjeux politiques d’une culture de proximité, à échelle humaine.

Cette volonté infusera dans l’ensemble de l’action publique dans les arts et la culture, permettant autant d’expérimentations qu’il y a d’écosystèmes de vie différents en France tout en dessinant un projet politique global nouveau.

Reprendre la démocratisation culturelle, garantir et développer les droits dans les arts et la culture

Si l’échec de la démocratisation culturelle est un mythe, son ralentissement, en revanche, est réel : il est la conséquence de décisions politiques. L’ambition qui nous anime est de poursuivre cette démocratisation afin d’en finir avec les inégalités.

En ce sens, la pensée actuelle autour de la politique culturelle est l’objet de nombreux débats. Parmi eux, celui sur le concept des droits culturels, qui vise à faire reconnaître le droit pour chaque personne de vivre et d’exprimer sa culture. Nous refusons cependant son détournement pour justifier le démantèlement de l’action publique dans la culture ou justifier sa conversion au consumérisme. Pour nous, la garantie d’égalité et de droits pour toutes et tous est au cœur de la notion de service public. Beaucoup de ses agent·es et de travailleur·ses de l’art mettent déjà en application ces préceptes d’égalité, de respect de l’intégrité de l’autre.

L’exercice plein et entier de ces droits passe par le développement de la familiarité de toutes et tous avec les arts et l’acte de création. C’est pourquoi il faut développer l’éducation artistique et culturelle, en donnant les moyens à ses acteur·ices d’effectuer au mieux leur mission d’intérêt général et en lui donnant la place qu’elle mérite tout au long de la vie.

Permettre à la création d’être à l’image de la diversité

La société française est riche d’une diversité précieuse de cultures. Nous devons être à la hauteur de la créolisation, rencontre entre altérités qui produit des situations nouvelles, alternative à l’universalisme abstrait et à l’ethnicisme rabougri. Pour qu’elle bénéficie à tou·tes, il nous faudra mener une lutte active et structurelle contre toute forme de discrimination sexiste, raciste ou de classe. Alors que la parole se libère dans tous les domaines de l’art pour mettre en lumière les violences subies par les femmes, notre action portera dans tous les pans des chaînes de création, et ce dès les structures de formation.

Nous agirons pour permettre à la création d’être à l’image de la diversité qui compose la France en visant une équité dans les moyens attribués et dans la commande publique, notamment dans l’audiovisuel, mais aussi en agissant contre la concentration dans les industries culturelles et dans les médias. Enfin, c’est dans la mémoire commune que cette diversité prendra place, par la valorisation des cultures populaires trop longtemps invisibilisées.

Définir un nouveau pacte social avec les travailleur·ses de l’art et de la culture où priment la confiance et le temps long

Cheville ouvrière de la démocratisation culturelle, c’est avec les travailleur·ses de l’art et de la culture que nous concevrons les grands chantiers que nous proposons. Cela passe par une action publique qui leur fait confiance, qui accepte le pari de l’expérimentation à leurs côtés et qui sort des logiques néolibérales où la concurrence prime sur l’émancipation collective.

Nous reconnaîtrons le travail de l’art, ce qui passera donc par faire des organisations professionnelles de travailleur·ses les premières interlocutrices de cette action publique. Nous travaillerons donc à rendre effectifs tous les droits sociaux que les travailleur·ses méritent, négocierons avec ces syndicats pour les améliorer et nous inspirerons des systèmes vertueux comme l’intermittence du spectacle pour l’adapter à d’autres professions discontinues.

Nos propositions : Les arts et la culture au service du progrès humain

Le service public des arts et de la culture tiendra une place centrale pour que la France puisse être une nation phare de l’émancipation collective en dialogue avec le monde et faire du partage du sensible un droit effectif pour toutes et tous.

L’éducation artistique et culturelle, fer de lance du service public de la culture

Former les créatrices et les créateurs de demain

Reprendre les grands travaux pour un service public de la culture du 21e siècle

Pour les publics, une culture de proximité et du quotidien, accessible et plus écologique

Une révolution citoyenne dans les arts et la culture

Reconnaître le travail de l’art

Favoriser la multiplicité des imaginaires

Le patrimoine, bien commun pour le futur

Défendre la diversité et l’indépendance de nos industries culturelles, par un protectionnisme solidaire et la lutte contre les concentrations

La culture, levier d’émancipation et de rayonnement dans les échanges internationaux et pour la paix