Notre constat : les principes coopératifs, associatifs et mutualistes à la croisée des chemins

L’économie solidaire est une réalité et une utopie. D’un côté, elle regroupe des espaces de travail et de production d’ores et déjà existants, qui s’organisent hors des principes capitalistes, privilégiant l’utilité sur le profit et la décision collective sur le féodalisme actionnarial. De l’autre, elle propose un avenir commun alternatif, en rupture avec le système capitaliste encore majoritaire. Ainsi, elle prend appui sur l’économie la plus humainement avancée pour engager la transition post-capitaliste. Cette grande transformation a actuellement lieu dans de très nombreux secteurs : santé, social, services aux personnes, protection de la nature, culture, éducation, formation, banques, assurances, commerce, BTP, agriculture, numérique, industries, réinsertion et lutte contre l’exclusion… Là, des centaines de milliers de professionnel·les s’unissent librement, suivant des principes démocratiques et solidaires, pour produire avec une lucrativité limitée (encadrement des salaires et rémunération plafonnée du capital) puis répartir de manière transparente et juste les excédents. Or, leurs capacités d’autofinancement et de résistance aux crises ou aux retournements conjoncturels s’avèrent désormais bien meilleures que celles des entreprises capitalistes. Il incombe donc désormais à la puissance publique de faire connaître, soutenir, encourager et organiser le passage général de la population vers l’économie solidaire.

L’idée émerge dès les débuts du mouvement ouvrier, soucieux de gérer rationnellement les conditions de travail et de récupérer le profit capitaliste afin de le convertir en investissements utiles ou en hausses de salaire. À la fin du 19e siècle, Jaurès dénonçait ainsi le paradoxe de voir que la République avait fait du travailleur un citoyen dans la cité, mais qu’il restait un serf dans l’entreprise. 

Le principe de démocratie générale implique au contraire que la République garantisse les droits mais aussi le pouvoir des salarié·es, théoriquement protégé par notre bloc constitutionnel, puisque le préambule de la Constitution de 1946 prévoit que « tout travailleur participe par l’intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail, ainsi qu’à la gestion des entreprises ».

L’ESS fait vivre concrètement la démocratie sociale dans les entreprises et les associations. Les salarié·es sont les meilleurs connaisseur·ses de leur outil de travail. Ils et elles sont donc au cœur de la bifurcation écologique et sociale. 

Les coopératives au cœur de la transformation

Le modèle coopératif, à l’origine dans la dynamique associationniste, apparaît au 19e siècle avec les prémices de la révolution industrielle et l’émergence du mouvement ouvrier (utopistes, libertaires, marxistes…) et des initiatives solidaires qui en découlent. En France, de nos jours, c’est généralement le statut juridique de Scop, sociétés coopératives et participatives, qui permet la déclinaison de ces principes fondateurs. Les associé·es des Scop sont majoritairement salarié·es. L’échelle des salaires y est égalitaire, en moyenne de 1 à 3.  Les coopératives sont la pointe avancée de l’ambition démocratique dans le monde de l’entreprise. Sur le mode « Une personne égale une voix », elles garantissent aux salarié·es le droit de décider collectivement des orientations et du mode de fonctionnement de l’entreprise. Les Scic, sociétés coopératives d’intérêt collectif, dessinent également un nouveau modèle qui associe non seulement les salarié·es, mais aussi les usager·es et client·es, les collectivités publiques et d’autres partenaires.

Parallèlement à ces évolutions, les coopératives de production connaissent depuis une douzaine d’années une progression spectaculaire : elles étaient 1 700 en 2005 et sont plus de 3600 à ce jour. Elles comptent aujourd’hui en France 67 000 salarié·es. Les délocalisations d’entreprises ont, dans le même mouvement, provoqué de beaux combats pour la reprise en coopérative par leurs salarié·es : Scop TI (ex-Fralib), La Fabrique du Sud (ex Pilpa)…]

Non au social business !

Les associations, coopératives et mutuelles, composantes fondatrices de l’ESS ont connu un nouvel élan en 2011, à l’occasion des États généraux de l’ESS. Cette dynamique a facilité la mise en place de la loi de 2014, qui a donné au secteur une visibilité inédite. Mais la question de la citoyenneté sociale, à savoir le partage du pouvoir entre les parties prenantes, salarié·es, usager·es-client·es et partenaires publics et privés, a été totalement ignorée. Et l’on a vu arriver en force les tenants de l’« entrepreneuriat social », vantant les mérites d’une activité économique à vocation sociale, voire écologique, tout en méprisant, au nom de l’exigence de rentabilité, le partage du pouvoir. 

Les deux derniers gouvernements ont accentué, en collaboration avec la Commission européenne, la marchandisation des activités associatives, à travers les « contrats à impact social ». Ces derniers visent à sous-traiter l’action sociale à des entreprises privées, afin de diminuer les dépenses publiques. Un tel désengagement de l’État  et des collectivités territoriales au profit des groupes privés capitalistes transforme le monde associatif en un marché, le « social business ». Les investisseurs ne manqueront pas, au passage, de rafler 2,5% d’intérêts payés par la collectivité. In fine, l’action sociale est plus chère, l’État et les collectivités se ruinent, perdent le contrôle des priorités d’action et des moyens mis en place et les habitant·es ou bénéficiaires accèdent à des services dégradés.  

Les pôles publics du 21e siècle (en particulier dans les domaines de l’énergie, des transports et de la santé) devront articuler services publics et initiatives citoyennes, associatives et coopératives, à la condition du respect des droits des salarié·es, dans le cadre d’une démocratie intégrale et de l’intérêt général des communs, à l’encontre de toute démarche de profit financier. Cela permettra également de lancer une dynamique démocratique et sociale au cœur des services publics.

L’ESS en chiffres

L’économie sociale et solidaire regroupe les structures suivantes : coopératives, mutuelles, associations, syndicats et fondations qui ont une gestion du capital démocratique (sur le principe un·e adhérent·e = une voix) et organisent un partage équitable des bénéfices. 

Elle produit près de 10% du PIB national et représente 10,5% des salarié·es : 2,4 millions de personnes y travaillent en France. Les femmes y sont majoritaires, à hauteur de 68 %. Les emplois sont en majorité non-délocalisables. Ses structures ont généralement des fournisseurs et des débouchés de proximité, connaissent bien leurs clientèles, ce qui les rend soucieuses de la production locale et limite la division internationale du travail. Elles constituent même la première filière d’activité dans certaines zones rurales. 

Entre 2010 et 2016, l’ESS a créé 87 100 emplois, soit 25 % de l’ensemble des emplois créés dans le secteur privé. La croissance moyenne de l’emploi s’est établie à +0,7% par an, contre +0,3% dans le reste du secteur privé. A partir de 2017, l’ESS connaît pour la première fois une tendance négative pour l’emploi, suite à des évolutions successives des politiques publiques emblématiques de la politique macroniste. La suppression de l’ISF (les dons aux associations étaient déductibles de l’ISF, la fin de cet impôt a entraîné une baisse des dons), la fin des contrats aidés et la contraction des dépenses publiques ont particulièrement touché le secteur associatif (23 000 emplois détruits en 2017 et 2018), principal employeur de l’ESS. Or les associations sont particulièrement présentes dans les territoires ruraux et les quartiers prioritaires de la ville. Une nouvelle fois, ce sont donc les populations et les territoires les plus fragiles qui ont souffert de la politique gouvernementale.

Ajoutons que plus de 350 000 départs à la retraite sont anticipés entre 2023 et 2028, ce qui montre bien l’importance de l’ESS dans les évolutions de l’emploi des prochaines années en France.

De nouveaux mouvements citoyens, porteurs d’alternatives sociales et écologiques, ont par ailleurs émergé à travers tout le pays. Avec les mouvements citoyens alternatifs, les zones à défendre (ZAD) et les forums sociaux mondiaux, une nouvelle génération militante se déploie pour faire face à la crise climatique et à la mondialisation libérale. C’est un grand espoir de voir se développer ces mouvements citoyens, porteurs de projets alternatifs au capitalisme et au néo-libéralisme.

Notre projet : développer des alternatives économiques citoyennes, sociales et écologiques

L’appropriation sociale ne se réduit pas à la propriété publique. Des formes coopératives, associatives, autogestionnaires, sont toujours possibles pour produire un bien ou un service.

De telles formes de propriété participent de l’objectif stratégique de rupture avec la marchandisation généralisée et de développement de l’autonomie des acteurs sociaux.

Par ailleurs, nous veillerons à empêcher les pratiques contraires aux objectifs fondamentaux de l’ESS faisant de certaines structures des holdings d’un écosystème libéral.

Face à la prédation de la finance et au règne des actionnaires, une autre économie est possible.

Dans cette période qui combine crises sanitaire, économique, financière, sociale et écologique, les projets de l’ESS permettent de développer ici et maintenant des démarches concrètes qui dessinent les contours d’un autre monde, plus juste et respectueux de l’avenir de la planète et de l’humanité. Les acteurs de l’ESS peuvent ainsi donner les moyens aux citoyen·nes mobilisé·es dans les mouvements de résistance à l’offensive destructrice des néo-libéraux et de reprendre la main en créant des coopératives et des associations d’action sociale ou culturelle, en développant les circuits courts et en soutenant la création de filières économiques écologiques et de nouveaux services.

Le pouvoir au peuple, dans l’entreprise, dans les associations et à l’échelle locale, doit servir des productions utiles, répondant aux besoins des populations et respectueuses de la planète. La socialisation des entreprises répond à cette exigence de conférer aux citoyen·nes, à la fois comme travailleur·ses et comme usager·es, le pouvoir de décision.

À l’heure de l’urgence écologique, il est également important de réhabiliter le droit d’usage face à la propriété privée exclusive par de nouveaux modes de gestion commune. Wikipédia, les licences libres ou encore les jardins et les bibliothèques partagés sont des communs, car les citoyen·nes qui en ont l’usage se dotent de règles communes, développent la ressource et l’entretiennent. Ces citoyen·nes-usager·es ne sont plus de simples consommateur·ices mais de véritables acteur·ices. 

Considérant que les mouvements associatifs et coopératifs citoyens sont un puissant levier de cohésion sociale, de mobilisation citoyenne, de confiance retrouvée dans les institutions, nous défendrons un nouveau pacte entre les collectivités publiques et l’ESS, dans la démarche des services publics de demain. C’est pourquoi nous militons pour que les pouvoirs publics, en indépendance vis-à-vis du pouvoir des multinationales, mais en lien avec les citoyen·nes, s’engagent dans le soutien et le recours aux associations tout en favorisant leur autonomie financière.

En nous appuyant sur les valeurs et les idées développées au sein de l’Union Populaire,  nous défendons une économie sociale et solidaire à dimension émancipatrice et à finalité sociale, démocratique et écologique. Nous la concevons comme un ensemble d’initiatives citoyennes agissant comme l’un des leviers de l’alternative au capitalisme. En revanche, nous n’entendons pas remplacer l’État dans ses missions de garantie d’égalité entre les citoyen·nes.

Nous privilégions trois principes intangibles et complémentaires :

Le statut juridique permet de construire des balises lisibles et identifiables. C’est pourquoi nous reconnaissons comme acteurs et partenaires prioritaires les associations, les coopératives (SCOP, SCIC, CAE) et les mutuelles comme des porteurs de statuts juridiques à privilégier.

Nos propositions : soutenir et généraliser l’ESS

Un des premiers leviers est de garantir à l’ESS l’accès au financement et aux marchés publics. Nous réviserons le code des marchés publics afin de renforcer la priorité aux structures de l’ESS, à condition que celles-ci respectent à la lettre leurs engagements, tant sur la qualité de leurs activités que le respect absolu de la démocratie interne et des droits des salarié·es. Nous favoriserons le développement concret de l’ESS en revenant sur les décisions récentes de « normaliser » les structures de l’ESS sur le plan fiscal.

Nous défendrons également les propositions suivantes : 

Renforcer les principes généraux de la gestion des communs et de la démocratie économique et sociale

Nous réaffirmons que l’éducation populaire est un outil incontournable d’émancipation individuelle et collective pour combattre les fanatismes religieux et idéologiques, créer du sens critique à travers les échanges collectifs, la création de lien social et le développement de savoir et de connaissances citoyennes et culturelles. 

Renforcer et clarifier ses cadres juridiques

Assurer le financement nécessaire à son développement

Soutenir une alternative concrète à l’économie financiarisée, vecteur d’émancipation dans tous les secteurs et territoires

Nous appuyons et soutenons toutes actions de développement d’entreprises permettant d’offrir des solutions pour permettre aux citoyen·nes les plus éloigné·es de l’emploi de retrouver des espaces de socialisation, de formation professionnelle et de travail. À ce titre nous soutenons les initiatives concrètes qui se développent en proposant des emplois pérennes et émancipateurs en soutien aux enjeux sociaux et écologiques de leurs territoires notamment à partir de l’exemple de l’expérimentation Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée.

L’associer comme acteur concret de l’économie

Soutenir sa structuration à long terme