« Une croissance indéfinie est impossible, nous n’avons qu’une seule Terre, mais une civilisation du bonheur est possible. »

René Dumont

Notre constat : le productivisme détruit l’écosystème compatible avec la vie humaine

Notre écosystème global est désormais en état d’urgence écologique. La vie sur la seule planète à notre disposition est en danger.

Les bouleversements climatiques, conséquence majeure des trop nombreuses émissions de gaz à effet de serre provoquées par les activités humaines, ont atteint un niveau tel qu’ils menacent la survie des espèces, dont la nôtre.

La limite impérative d’élévation des températures à un maximum de 1,5 degré par rapport à l’époque préindustrielle risque d’être atteinte avant 2030. Le seuil symbolique de 400 parties par million (ppm) de CO2, jamais franchi depuis 23 millions d’années, a été dépassé. De plus, les engagements pris par les États dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat (COP21) puis lors de la COP26 de Glasgow ne permettront pas de respecter cette limite et nous conduisent tout droit vers un réchauffement de 2,7 degrés à la fin du siècle.

Le changement climatique est commencé et une partie de ses effets est d’ores et déjà irréversibles. Le cycle de l’eau est déjà grandement perturbé. Ainsi, cela se traduit entre autres par l’acidification des océans, phénomène responsable de l’extinction d’écosystèmes marins entiers tels les récifs coralliens, la submersion d’îles et de zones côtières, y compris en France, l’augmentation de la fréquence et de l’intensité d’épisodes climatiques extrêmes (sécheresses, canicules, incendies, pluies diluviennes, inondations, ouragans, tornades, etc.) Ces fléaux frappent toujours plus les populations, à commencer par celles des pays les plus pauvres. À brève échéance, certaines régions vont devenir inhabitables. 

Ces phénomènes s’accompagnent d’une régression massive de la biodiversité et d’une sixième extinction de masse des espèces à un rythme jamais constaté depuis la disparition des dinosaures. Un million d’espèces animales et végétales, soit 1 sur 8, sont menacées d’extinction à court terme. La biodiversité n’a pas de prix et sa perte signifie la destruction de biens communs aux dépens des générations à venir. Au-delà de la tragédie naturelle, scientifique et biologique, cette extinction a aussi des impacts économiques. 

Le changement climatique n’est pas seul en cause. La dégradation de la qualité des sols et leur artificialisation, ainsi que la pollution par les pesticides et par les rejets industriels, participent de la disparition d’habitats naturels tout en fragilisant l’agriculture. Les évolutions climatiques et plus largement la dégradation de l’environnement dont la multiplication des molécules chimiques ont des répercussions graves et nombreuses sur la santé humaine (cancers, maladies cardiovasculaires, asthme, atteintes neurodégénératives, baisse de la fertilité, etc.). Le fléau plastique se répand au fil du cycle de l’eau. Des études démontrent plus généralement la présence systématique de perturbateurs endocriniens, cancérigènes avérés ou suspectés dans l’organisme de tou·tes les Français·es. La pollution de l’air serait responsable chaque année de dizaines de milliers de décès. 

Nous assistons en outre à une montée des conflits géopolitiques liés à l’accès aux ressources (terre, eau, énergies fossiles, métaux les plus utilisés) et à l’augmentation du nombre de réfugié·es climatiques qui pourraient être plus de 200 millions d’ici 2050.

Notre modèle économique est devenu insoutenable pour la planète, avec l’extraction de plus en plus effrénée des matières premières non renouvelables comme les métaux, et parce que nous consommons en un an davantage que la capacité de régénération des ressources renouvelables par les écosystèmes. 

Le jour du dépassement correspond à la date à laquelle les ressources renouvelables de la planète pour cette année ont été consommées. Il est effectif dès le 29 juillet en 2021 au lieu du 1er octobre en l’an 2000. Nous consommons l’équivalent des ressources de 1,7 planète par an. De façon inégalitaire : 5 avec le mode de vie étasunien, 2,9 pour un·e Français·e, et seulement  0,7 pour un·e Indien·ne.

Le productivisme détruit l’écosystème compatible avec la vie humaine. Selon une formule parfois attribuée à Antoine de Saint-Exupéry, « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants. » Or, nous avons déjà une dette écologique vis-à-vis des générations futures. Elle se double d’une dette des pays du Nord à l’égard des pays du Sud pour avoir pillé et exploité leurs ressources. Ce pillage se poursuit avec le brevetage du vivant, la déforestation importée au profit des pays du Nord et les accaparements de terres.

La montée des eaux

« Avant la fin du siècle, 75 % de la population mondiale vivra à moins de 100 kilomètres d’un rivage. De son côté, la mer monte. Pourtant, son niveau est resté quasi stable pendant plus de trois mille ans : elle montait de 0,1 millimètre par an. Depuis 1900, ça va nettement plus vite : 17 centimètres de plus au cours du XXe siècle ! L’eau devrait encore monter de 50 centimètres d’ici à 2050 et de 1,40 mètre d’ici à 2100 ! Une fois de plus, l’événement, c’est la rapidité du changement. Conséquence : plus de 200 millions de personnes à déplacer. Soit trois fois la population de la France ! Il va falloir quand même s’y intéresser. Huit des dix plus grandes villes du monde sont situées sur les littoraux. C’est déjà un risque majeur. L’ampleur de la catastrophe de Fukushima ne provient pas du tremblement de terre sous-marin. Il y en a toujours eu. Et des tsunamis aussi. Mais avant, ils détruisaient des cabanes de pêcheurs. Dorénavant, ils dévastent des centrales nucléaires qui les ont remplacées sur le rivage. En France, la tempête de 1999 a déjà failli noyer la centrale nucléaire du Blayais, installée à 50 kilomètres à peine du centre-ville de Bordeaux, sur l’estuaire de la Gironde. En 2010, en Vendée, on a vu aussi la mer recouvrir une zone habitée. » 

Jean-Luc Mélenchon, L’Ère du Peuple, 2016. 

Notre projet : la règle verte pour mettre en œuvre la bifurcation écologique

Notre défi est d’inscrire l’activité humaine dans le cadre des limites planétaires. Pour y répondre avec responsabilité et détermination, nous devons procéder à une bifurcation écologique de notre économie. Il s’agit de changer la façon dont nous produisons, consommons et échangeons pour nous mettre en harmonie avec la nature tout en garantissant des conditions de vie dignes pour chacun·e. Cela doit donc être planifié. La planification est d’abord une méthode. La règle directrice et le principe qui en oriente le contenu, nous l’appelons “règle verte”. Concrètement, cela signifie l’obligation, à l’échelle de la France, de ne pas prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer, ni de produire plus de pollutions et de déchets que ce qu’elle peut supporter. 

Cela inclut notamment l’atteinte de la neutralité carbone d’ici 2050, tant sur les émissions domestiques que les émissions importées (empreinte climatique nationale) avec une production d’énergie 100% renouvelable, la préservation de la biodiversité, un usage sobre des matières premières non renouvelables et l’objectif du zéro déchet.

La règle verte doit être inscrite dans la Constitution. Elle permettra d’empêcher le droit de propriété de prévaloir sur la protection de l’eau, de l’air, de l’alimentation, du vivant, de la santé et de l’énergie. La Charte de l’environnement, intégrée en 2005 dans le bloc de constitutionnalité, a affirmé trois principes : prévention, précaution et pollueur-payeur. Ces principes ayant été affaiblis ces dernières années (avec, par exemple, le système de compensation introduit par la loi Biodiversité en 2016), la règle verte permettra au contraire d’imposer par sa concrétisation dans la loi  :

Cette bifurcation écologique ne peut se concevoir sans repenser le calcul de la richesse et sa répartition. Celle-ci doit être juste. Les 10% les plus riches du pays ont émis autant de CO2 que la moitié la plus pauvre entre 1990 et 2015. Les inégalités sont extrêmes : les 10% de Français·es les plus pauvres polluent 8 fois moins que les 10% les plus riches. Pourtant, ce sont les classes populaires qui subissent en premier les conséquences. Le Covid-19 a par exemple frappé plus durement les plus pauvres rendu·es vulnérables par les maladies liées à la pollution de l’air et la malbouffe ou encore une contagion accentuée par le mal-logement. 

Le produit intérieur brut (PIB) ne mesure pas le niveau de bien-être, ni ne rend compte des services rendus par les activités sociales ou culturelles, ni ne comptabilise le coût des dégâts écologiques, tandis qu’il intègre leur réparation. La règle verte nécessite donc de nouveaux indicateurs de progrès humain.

Elle suppose aussi la mise en place d’un protectionnisme écologique et solidaire pour éviter que des produits fabriqués dans des pays à faible protection environnementale et sociale ne soient importés en France, en contournant ainsi les obligations définies.

« De deux choses l’une : soit la solution du problème du changement climatique sera planifiée par une autorité publique agissant avec la puissance publique, soit on déléguera sa planification à des entreprises privées dont la grande priorité est de vendre du charbon, du pétrole et des voitures qui consomment de l’essence. Si c’est la seconde voie qui est suivie, dans un siècle ou deux, le monde industriel développé tel que nous le connaissons n’existera peut-être plus. »

James K. Galbraith, économiste

Nos propositions : sortir du productivisme et du consumérisme

La planification écologique ne pourra pas être mise en œuvre si les marchés financiers continuent d’agir à leur guise. Il y a donc urgence à engager une transformation au service des citoyen·nes qui sorte de la logique du capital et de ses circuits financiers. Elle nécessite des objectifs et un calendrier de réalisation conformes aux dispositions d’une loi de planification votée par le Parlement.

Notre société est dominée par le « toujours plus » : plus de croissance, de compétitivité, de vitesse, de consommation, de stress. La planification rétablit la gestion du temps long plutôt que la dictature du temps court, le qualitatif plutôt que le quantitatif, et le refus de la concurrence et de l’accumulation. Moins d’incitations permanentes à des consommations superflues et ostentatoires, plus de soins et de liens.

La planification définit les priorités dans le domaine de la production et de la consommation des biens et services à partir des besoins de la population et en les mettant en adéquation avec le respect de la règle verte. Elle détermine ainsi les choix stratégiques et les objectifs à moyen et long termes dans les domaines de l’économie, de l’environnement et de l’aménagement du territoire, ainsi que les moyens nécessaires pour les atteindre. 

Concrètement, de grands chantiers doivent être mis en œuvre dans tous les domaines : énergie, bâtiment, agriculture, industrie, réseaux d’eau, etc. Des centaines de milliers d’emplois sont à la clé. Par exemple, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), la bifurcation de notre modèle énergétique pourrait créer près d’un million d’emplois. 

Comme le signale Carbone 4, la somme des bonnes volontés individuelles permettrait de réaliser au mieux un quart du chemin à parcourir pour limiter le réchauffement à 2 degrés. En clair, les trois quarts de l’effort à fournir relèvent d’une transformation systémique où il “revient à l’État d’assumer pleinement son rôle de régulateur, d’investisseur et de catalyseur. Cette planification sera élaborée de façon participative, sur la base d’arbitrages citoyens entre les divers intérêts. Planifier permet d’identifier les biens communs et de développer les services publics nécessaires à leur protection. Elle explore les voies de la collectivisation et de la réappropriation citoyenne des biens communs.

Le processus de la planification

La planification correspond à une tradition bien implantée en France, sous les IVe et Ve Républiques. Le premier Plan français a été élaboré au sortir de la guerre. Même la Commission européenne, dans ses premières années, se livrait à des exercices de programmation à moyen terme et fixait des objectifs généraux pour la production industrielle ou scientifique. À l’heure actuelle, il existe une multitude de plans élaborés par les administrations françaises, de la planification des sols aux plans climat-air-énergie territoriaux. Les grandes entreprises elles-mêmes planifient au quotidien leurs activités économiques, leurs investissements, leur production, leur gestion des stocks. Planifier signifie se réapproprier le temps long et donc les décisions de grande portée. Mais les planifications actuelles ont un trait commun : elles se font du haut vers le bas, sans la participation populaire. Pourtant, l’intérêt général impose de mettre en place la planification citoyenne. 

Organiser le débat démocratique et le processus de planification à l’échelle du pays

Pour parvenir à un plan écologique et démocratique qui articule l’ensemble des thématiques concernées et combine l’intervention des différents niveaux de territoires, nous mettrons en œuvre :

La préparation et la mise en œuvre de la planification écologique nécessitent d’impliquer tous les niveaux territoriaux, en recherchant systématiquement :

Une articulation avec la promotion d’une nouvelle diplomatie écologique à l’échelle internationale 

Dans les instances multinationales et bilatérales, la France défendra la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique en modifiant nos façons d’échanger, de produire et de consommer. Elle portera les principes de la planification écologique et de la règle verte à l’échelle internationale, ainsi que le principe de non-régression et la reconnaissance de la notion de crime contre la nature (écocide). La France doit montrer l’exemple : elle arrêtera d’importer des produits liés à la déforestation et s’interdira d’exploiter les fonds marins et de forer en Méditerranée.

Elle sera le fer de lance d’une nouvelle diplomatie climatique et écologique dans le cadre de l’Organisation des Nations unies. De nombreuses propositions doivent être activement soutenues : celle d’un Traité de non-prolifération des énergies carbonées, d’un Traité de protection des grands fonds marins, la création d’un tribunal international de justice climatique tel que proposé par la Bolivie depuis 2009 ou encore celle d’un traité pour contraindre les multinationales à respecter les droits humains et l’environnement proposé par l’Équateur en 2014. Il sera également procédé à un audit des conventions, textes, directives et autres traités auxquels la France est partie prenante, au regard de leur compatibilité avec des objectifs de planification écologique. 

De par son inscription dans la Constitution, la règle verte implique la renégociation ou le refus de tout traité commercial international qui contribue à l’accroissement de la catastrophe écologique (tels les CETA, TAFTA, TISA, accord UE-Mercosur). Le principe de souveraineté nationale implique également de refuser le recours aux tribunaux d’arbitrage qui permettent aux multinationales de poursuivre les États lorsqu’elles estiment que leurs profits ont été réduits par la primauté donnée à la santé humaine et environnementale. 

Les outils de la planification

Les lois de planification écologique impliquent des évolutions normatives, juridiques et fiscales. Elles s’appuient pour cela sur la création de structures qui permettront la mise en œuvre concrète de la règle verte. 

Des structures adaptées

Des obligations et incitations

Un caractère contraignant pour les services publics et entreprises nationales dont les moyens budgétaires devront être fixés et organisés en fonction de critères environnementaux

Un caractère indicatif accompagné d’un processus contractuel avec des aides d’État en échange d’un engagement à réaliser les objectifs définis : 

Un caractère fortement incitatif pour les entreprises privées du secteur marchand par :

Crédit, fiscalité et normes au service de la transition

Changer de modèle économique 

Les outils de traduction de la règle verte par secteur

L’organisation de la production, des échanges et de la consommation doit être réorientée en profondeur dans chaque secteur pour se conformer aux objectifs de la règle verte. Outre les bilans de gaz à effet de serre par secteurs, de nouveaux indicateurs et outils devront être établis par le Conseil à la planification écologique comme outils d’application sectorielle et d’évaluation du respect de la règle verte. Certains outils sont déjà disponibles, d’autres devront être créés. Voici une illustration non exhaustive :

 Les principes associés à la règle verte

La sobriété : gouverner par les besoins

La sobriété du camp humaniste n’est pas individuelle, elle consiste à satisfaire les besoins nécessaires de tou·tes dans les limites écologiques, et non pas à enrichir ceux qui contrôlent les filières productives. Elle vise à remettre en cause les organisations territoriales qui rendent la voiture indispensable, l’obsolescence programmée, la publicité qui crée des faux besoins. Elle combat fortement les consommations superflues, excessives et polluantes par les politiques structurelles, la réglementation et la taxe. Elle assure que la satisfaction des besoins fondamentaux (logement, alimentation, transports, éducation, santé, loisirs) est garantie pour toutes et tous. La sobriété conduit à penser l’entraide, la mutualisation des ressources, la simplification industrielle (low-tech), la relocalisation. Elle est profondément redistributive, porteuse d’autonomie et émancipatrice pour les populations.

Deux grands principes sont consubstantiels à l’application de la règle verte : la sobriété et l’entraide.

La sobriété : 

L’entraide au lieu de la compétition : 

Il est possible de rompre avec le vieux monde, de vivre mieux et de vivre bien. La planification écologique est le chemin pour atteindre l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature. La règle verte en est l’outil. Ce sont les clés d’un avenir en commun.