Tout au long de la campagne, de nombreuses organisations (associations, syndicats, collectifs, etc) sollicitent Jean-Luc Mélenchon pour qu’il détaille ses propositions sur des enjeux qui les concernent. L’équipe du programme et les groupes thématiques répondent, pour chacune de ces demandes, en développant des points précis de notre programme l’Avenir en commun.
Le Collège des Sociétés savantes académiques de France a pour objectifs de renforcer le dialogue entre les champs disciplinaires, de porter une réflexion de fond sur les enjeux, les moyens et l’organisation de la recherche et de rendre compte aux citoyen-nes et aux responsables politiques, administratifs et économiques des différentes options concernant les grands enjeux de demain et de leurs conséquences sur l’avenir de notre pays.
Pensez-vous que la confiance entre les citoyennes et citoyens et les sciences pourrait être améliorée par les mesures suivantes ? Si vous êtes d’accord, comment les mettriez-vous en œuvre ?
1 – Le renforcement du rôle de l’école, du collège et du lycée dans l’éducation des citoyennes et citoyens aux sciences et la démarche scientifique
Oui nous sommes d’accord avec ce constat, l’éducation scientifique est essentielle pour notre démocratie et nous en faisons un pilier de la 6ème République. Les exemples sont infinis : la statistique permet de comprendre les inégalités, l’astronomie notre place dans le monde ou la géologie les effets de notre présence sur Terre. Il faut surtout apprendre aux élèves la démarche scientifique, celle qui permet d’organiser sa propre existence et son rapport aux autres, plus que le seul état de l’art des connaissances scientifiques. Pour cela, il est nécessaire notamment de réduire le nombre d’élèves par classe. Nous proposons de tendre vers 19 élèves par classe dans notre programme, ce qui implique le recrutement de 160 000 enseignants d’ici la fin du mandat. Nous réintroduirons également les mathématiques dans le tronc en commun au lycée, réforme d’Emmanuel Macron qui a eu des conséquences terribles.
2 – Une diffusion plus efficiente dans le public des connaissances scientifiques, notamment par une clarification des informations publiées
Nous devons en finir avec le modèle actuel de marchandisation de l’information scientifique au seul bénéfice d’éditeurs privés de moins en moins scrupuleux. Notre programme prévoit de mettre fin à l’évaluation quantitative des chercheurs et à leur mise en compétition avec la suppression du HCERES et des primes dites au mérite. Il prévoit aussi de créer un service public de la publication scientifique gratuite, qui pourrait parfaitement aussi accueillir des revues de vulgarisation. Ces dernières ont largement été décimées par le modèle économique actuel. Enfin, l’audiovisuel public sera mis à contribution pour diffuser les savoirs au grand public.
3 – La réduction des inégalités sociales/territoriales d’accès aux sciences et à la culture scientifique
Oui pour cela il faut faciliter l’accès à l’université au plus grand nombre. Notre programme prévoit une allocation d’autonomie mensuelle de 1063 € à tous les étudiants détachés du foyer fiscal de leurs parents. Nous supprimerons aussi les frais d’inscription, y compris bien entendu pour les étudiants étrangers frappés de mesures discriminatoires, et augmenterons le nombre de logements étudiants avec 15 000 constructions par an. Toutes ces mesures sont de nature à faciliter l’accès des classes populaires et des enfants issus des milieux ruraux à l’enseignement supérieur. Par ailleurs, nous avons prévu de créer des centres polytechniques qui iront du CAP à la licence, permettant aux étudiants y compris en CAP, d’avoir accès aux connaissances scientifiques récentes, via un tronc commun technologique élevant les qualifications générales.
4 – Un meilleur soutien aux étudiantes et étudiants des universités et autres établissements publics
Oui. Ce meilleur soutien est d’abord économique et passe par les mesures présentées dans la réponse à la question précédente (allocation, logement étudiant, frais d’inscription supprimés). Mais il est nécessaire d’améliorer aussi les conditions de vie dans les établissements. Nous proposons un plan de rénovation du bâti universitaire, un vrai service de santé universitaire avec l’embauche notamment de psychologues et des moyens pour les cellules d’écoute contre les violences sexuelles et sexistes. Loin de la dématérialisation orchestrée actuellement (pour se passer de mètres carrés, organiser un système individualisé à la demande et pré-enregistrer des enseignements permettant de ne plus défrayer les vacataires), nous garantirons un enseignement supérieur en présentiel. Enfin le pôle public du transport devrait faciliter l’accès en transport en commun aux universités.
5 – Une place plus importante faite aux diplômées et diplômés du monde universitaire de toutes disciplines dans la haute administration et dans la mise en œuvre des mesures gouvernementales.
Oui, même s’il ne nous semble pas impératif de rendre obligatoire l’obtention d’un doctorat, il est absolument nécessaire que les mentalités changent et que l’administration recrute plus à tous les niveaux des étudiants de l’université. Nous multiplierons les passerelles entre doctorat et haute fonction publique et reconnaîtrons le doctorat dans les conventions collectives, pour élever la rémunération des bac+8. Cela permettra aussi un meilleur transfert des connaissances scientifiques acquises au sein des unités de recherche vers les cabinets ministériels et d’autres structures de l’appareil d’Etat ou des collectivités territoriales.
Que pensez-vous de l’importance de reconnaître le besoin impérieux d’une recherche fondamentale non orientée ? Pour ce faire :
5 – Comment comptez-vous financer la recherche la plus libre et ouverte possible ?
Pour nous la liberté académique est centrale pour avoir une recherche fondamentale de qualité. Seule la communauté scientifique d’une discipline sait quels sont les vrais fronts de science. Nous proposons la suppression de l’ANR et des initiatives d’excellence et de rétrocéder tous ces budgets sous forme de crédits récurrents aux agents (cela reviendrait en moyenne à 11 000 € par agent présent dans une unité). Cela libérerait les chercheurs de la contrainte bureaucratique de déposer des projets pour faire la moindre recherche ou commencer la moindre collaboration. Le temps gagné serait précieux et source d’économie globale pour le système. Les appels à projet devraient retrouver leur place : pour les équipements et pour de nouveaux fronts de science sur lesquels nous avons besoin de façon urgente des connaissances finalisées.
6 – Comment articuler les recherches fondamentales et les recherches appliquées ?
En réalité, il existe un continuum entre recherche fondamentale et recherche finalisée. Nous ne savons jamais à l’avance quelles applications découleront de recherches fondamentales. La vitrocéramique, l’insuline, le kevlar, les pulsars ou la pénicilline sont des accidents de recherche fondamentale ou des erreurs reconverties en découverte. D’autre part, il existe toujours un délai important (une vingtaine d’années) entre la recherche finalisée et ses applications concrètes industrielles ou économiques. Selon nous, les EPST à but finalisé (INSERM, IRD, INRAE, INED, INRIA) et certains EPIC (ONF, CEA, ADEME, CIRAD, CNES, BRGM…) ont un rôle important à jouer dans ce continuum et ils ont vocation nationalement et dans les UMR à être pilotes de ces recherches finalisées. Ils doivent donc être renforcés et non démantelés pour les transformer en agences de moyen comme le propose une note de la Cour des comptes ou le candidat Emmanuel Macron. Mais pour que la recherche appliquée ait une traduction concrète industriellement il faut des partenaires industriels qui fassent aussi de la recherche et de l’innovation.
7 – Doit-on développer les partenariats public/privé pour la recherche ?
Pour que les citoyens aient confiance dans les connaissances et innovations issues de la science, il est absolument nécessaire de limiter les conflits d’intérêt d’ordre économique. Nous encadrerons donc très strictement la possibilité de financement de la recherche ou de rémunération des chercheurs du public par des entreprises privées. De la même façon, nous ne pensons pas souhaitable de multiplier la présence de partenaires privés dans les conseils d’administration des universités ou des EPST. Pour nous, le partenariat entre public et privé est souhaitable, mais en toute indépendance. Et lorsqu’il a lieu, il faut en protéger le résultat – aujourd’hui, les Instituts Carnot accouchent de start-ups rachetées et démantelées par des investisseurs états-uniens ! Les entreprises bénéficieront toutefois de la politique d’open data et du service public de la publication scientifique. Nous faciliterons aussi les espaces et lieux de rencontre effectives entre les attentes des acteurs du privé (associations incluses) et les chercheurs.
8 – Peut-on rester strictement dans le cadre de la LPR ? Comment prendre en compte l’inflation dans les programmes pluriannuels ?
Non, nous abolirons la LPR, dont l’orientation budgétaire n’est pas à la hauteur et qui a encore plus précarisé les jeunes chercheurs et les personnels techniques avec le CDD Tenure Track et le CDI de mission. Nous proposerons une nouvelle loi de programmation avec l’embauche de 30 000 personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur sur 5 ans et la titularisation de tous les contractuels assurant actuellement des fonctions pérennes. Nous revaloriserons aussi les salaires à hauteur de 15%.
Comment faire en sorte que les apports des sciences aient toute leur place dans la prise de décision politique ? Que proposez-vous et que pensez- vous des mesures suivantes ?
9 – Instaurer des formations au fonctionnement de la démarche scientifique et aux fondamentaux de la recherche pour les élues et élus et la haute administration
Comme nous l’avons écrit plus haut, nous revaloriserons les profils universitaires dans les administrations, et le renforcement des enseignements scientifiques dans le secondaire, général et professionnel, s’appliquera aussi aux futurs élus et hauts fonctionnaires. Par ailleurs, nous garantirons un droit à la formation professionnelle des élus, qui pourra notamment être mobilisé pour se former à la démarche scientifique et aux fondamentaux de la recherche.
10 – Augmenter la participation des scientifiques à l’élaboration des réformes structurelles
Oui, il faudrait commencer par les écouter sérieusement sur l’urgence écologique, ce que nous avons fait tout au long de l’élaboration de notre programme.
Comment garantir les libertés académiques et scientifiques afin de protéger la liberté d’expression dans des limites dictées par l’éthique et le devoir de réserve ? Pour ce faire :
11 – Quels mécanismes envisager pour garantir la sérénité des débats académiques et le principe d’indépendance des universitaires ?
La meilleure garantie c’est le statut de fonctionnaire et d’enseignant-chercheur qui est protecteur et garantit une indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques et économiques. La résorption de la précarité est donc un moyen de garantir notre indépendance. La sérénité des débats exige aussi que le politique ne s’immisce pas dans les débats scientifiques, comme la Ministre actuelle l’a fait sur “l’islamo-gauchisme” ou d’autres sur les théories de ce type. L’évaluation nationale de la recherche doit être réellement transparente et effectuée par des pairs légitimés collectivement, une exigence qui n’est pas respectée aujourd’hui par le HCERES.
12 – Comment améliorer les relations de confiance entre la communauté de la recherche et de l’enseignement supérieur et les pouvoirs publics ?
Chacun doit respecter les prérogatives des autres. Les politiques ne doivent pas s’immiscer dans le champ scientifique. De l’autre côté, les scientifiques sont là pour donner l’état du consensus scientifique, pas se transformer eux-mêmes en décideurs. Nous sommes contre une République des experts, le peuple est souverain dans ses décisions et les chercheurs rigoureusement indépendants dans leur critique ou apport au débat public.
13 – Comment répartir les crédits alloués entre les appels à projets et les financements récurrents ?
Nous sommes pour la suppression de l’ANR et des initiatives d’excellence pour en finir avec la concurrence généralisée qui produit un véritable enfer bureaucratique. Les appels à projets resteront possibles pour de nouveaux fronts de science ou des équipements à partir des instituts/ universités eux-mêmes, des régions ou de l’UE.
14 – Comment développer les emplois pérennes, tout en développant l’attractivité des carrières scientifiques ?
Le manque d’attractivité de la recherche française est à nuancer. D’abord, le taux de pression sur les concours est très fort en réalité. Au CNRS, au concours d’accès au CRCN, il y a eu en 2019 244 recrutements sur 5509 candidats, soit plus de 22 candidats par poste. Ce chiffre est à peu près identique à l’INRAE (24,9) et encore très élevé pour l’INSERM (10,1) ou pour les Maîtres de Conférence dans l’université (7,4). Autre indicateur d’attractivité, la part des chercheurs étrangers est très importante : en 2015 15,6% dans les organismes de recherche, 10,5% dans l’enseignement supérieur et seulement 5% dans les entreprises privées. Cette part ne cesse d’augmenter d’ailleurs année après année. Donc le problème n’est pas tant l’attractivité de notre système, car le statut de fonctionnaire et les moyens notamment en termes d’appui et de techniciens de nos unités (même si certaines sont trop peu dotées aujourd’hui) restent des facteurs assez attractifs pour des chercheurs, dont les statuts ont été extrêmement précarisés dans le reste du monde. Il n’est pas rare de voir des chercheurs très expérimentés et reconnus dans leur domaine changeant de pays tous les 2 ou 3 ans au gré de CDD sous-payés.
Essentiellement par manque de postes, nombre de jeunes chercheurs sont contraints d’aller à l’étranger pour faire de la recherche et un nombre encore plus important décident d’abandonner, lassés de tant d’échecs à des concours. Comment éviter ce gâchis ? Il y a trois leviers que nous comptons utiliser. D’abord, il faut employer massivement et en finir avec la précarité. C’est pourquoi notre programme propose la titularisation de tous les contractuels exerçant des fonctions pérennes et un vaste plan de recrutement de 30 000 emplois titulaires en 5 ans dans tous les métiers de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Deuxième levier, il faut rémunérer dignement les personnels qui ont vu leur salaire perdre de la valeur avec le gel du point d’indice tandis que l’inflation, elle, continuait. Nous proposons une hausse de 15% du point d’indice de tous les fonctionnaires et des discussions sur la refonte des grilles avec les partenaires sociaux.
Le dernier levier concerne les conditions de travail qui se sont détériorées avec l’avènement de la logique managériale. Les chercheurs perdent une bonne partie de leur temps à répondre à des appels d’offres pour avoir les moyens de travailler. Nous mettrons un terme à cette logique mortifère en supprimant l’ANR, les initiatives d’excellence et la logique d’évaluationnite aiguë, ce qui se traduira également par la suppression du HCERES. Les modalités de l’évaluation des formations et des unités de recherche seront discutées par concertation entre les différents acteurs de la recherche (ex. les comités du CNRS) et dans le cadre des organes délibératifs du Conseil national de l’ESR (CNESER) et du Conseil national des universités (CNU), qui seront rénovés, renforcés et démocratisés.