Association française pour l’information scientifique (Afis)

Tout au long de la campagne, de nombreuses organisations (associations, syndicats, collectifs, etc) sollicitent Jean-Luc Mélenchon pour qu’il détaille ses propositions sur des enjeux qui les concernent. L’équipe du programme et les groupes thématiques répondent, pour chacune de ces demandes, en développant des points précis de notre programme l’Avenir en commun.

Quelle est la place de l’expertise scientifique dans l’élaboration de votre programme ?

Nous partageons le point de vue de l’AFIS concernant la place de la science : si elle a vocation à dire « ce qui est », elle n’a pour autant aucune légitimité à suggérer « ce qui doit être ». Les connaissances scientifiques ont une valeur spécifique du fait de leur plus grande vérisimilitude, mais les connaissances des acteurs sont tout aussi importantes à prendre en compte.

Nous nous  sommes donc basés sur l’état des connaissances fondamentales, mais aussi des expertises existantes pour élaborer notre programme. Par exemple, le livret énergie se base sur le scénario négawatt et tient compte des expertises RTE ou de l’ADEME. Le chiffrage du programme présenté le 12 mars a été conçu en utilisant des modèles macro-économiques qui font référence comme celui de la banque de France. Les rapports du GIEC ou de l’IPBES sont aussi des bases fondamentales pour nous.

Mais surtout l’élaboration du programme a été précédée d’auditions d’experts pour chaque thématique. Ces auditions permettent de faire un état des lieux des connaissances et expertises existantes sur le sujet.  

Quelle est votre vision du rôle et des agences d’expertise ou sanitaires (ASN, ANSES, ANSM, …) ?  Avez-vous confiance en leurs évaluations, ou craignez-vous que leurs avis soient partisans? Dans ce cas, qu’est-ce qui pourrait être amélioré ?

A priori, nous faisons confiance à l’expertise des services publics. Mais elle peut être améliorée. D’une part, il est nécessaire de mieux intégrer ces expertises avec les résultats des recherches des organismes publics. C’est une réflexion que nous avons engagée dans le plan intitulé : « Produire les qualifications et les savoirs utiles à la bifurcation écologique ». D’autre part, pour recouvrer la confiance des citoyens, il est absolument nécessaire d’éviter tout conflit d’intérêt et toute logique de lobbying, ce qui passe par un statut protecteur comme celui du fonctionnaire avec interdiction d’avoir recours à d’autres sources de rémunérations. Aujourd’hui, trop de sociétés savantes de médecines sont financées par l’industrie pharmaceutique, il y a aussi recours à des bureaux d’étude au statut mal définis en lieu et place des services publics, notamment dans l’environnement.

Selon vous, quels acteurs ou dispositifs sont les plus pertinents pour juger des risques sanitaires ou environnementaux d’une nouvelle technologie ?

 En réalité, il existe plusieurs organismes qui réalisent ce travail, mais ils manquent surtout cruellement de moyens et il serait probablement nécessaire d’envisager leur réunification. 

L’épidémie Covid a mis en lumière certaines dérives du fonctionnement des institutions scientifiques (course à la publication, effets de mode liés aux opportunités de financement, voire fraude scientifique pure et simple). Quelle est votre position sur le fonctionnement de la recherche (publique ou privée) et les éventuelles mesures à mettre en place pour corriger les problèmes ?

La mise en compétition généralisée des acteurs de la recherche et des institutions suit une logique néolibérale et une révolution managériale. Cette tendance est catastrophique car elle conduit à faire exploser le nombre de publications et tend à dégrader la qualité des publications, quand cela ne conduit pas à la fraude scientifique. De plus, les scientifiques deviennent presque des commerciaux, qui vendent leurs résultats scientifiques comme un paquet de lessive dans une société du spectacle incompatible avec le développement rigoureux du débat scientifique.

Pour en finir avec cette logique, nous proposons d’abord de stopper la compétition pour les financements en supprimant l’ANR et les initiatives d’excellence et en distribuant les moyens aux unités de recherches sous forme de dotations récurrentes. La fin de l’austérité permettra la titularisation de tous les précaires exerçant des fonctions pérennes et l’embauche de plus de 30 000 fonctionnaires en 5 ans. La concurrence pour avoir un poste diminuera et donc cela limitera la tendance actuelle au “publish or perish”. Enfin, nous supprimerons l’HCERES et la logique actuelle d’évaluation avec des critères purement bibliométriques en revenant à une évaluation plus qualitative des recherches menées.

Enfin, tout ce système est aussi alimenté par des éditeurs scientifiques privés qui profitent de cette situation pour faire des profits exorbitants qui augmentent à mesure que le nombre de publications explose. Nous en finirons avec cette logique en créant un service public de la publication scientifique. 

Quelles découvertes scientifiques ou innovations technologiques vous paraissent majeures dans l’histoire de l’humanité ?

En réalité, il est difficile de faire un choix. Toutes les connaissances scientifiques concourent à une meilleure compréhension du monde. Telle connaissance paraissant anecdotique à un moment devient centrale après que d’autres connaissances aient été acquises. Au vu des enjeux aujourd’hui, l’algèbre de Boole (1854), la découverte de la vaccination par Pasteur (1885), l’expression moderne de l’effet de serre par Arrhénius (1896), la théorie synthétique de l’évolution (1930-1940), ou en philosophie le deuxième sexe de Simone Beauvoir (1949) et les Damnés de la terre de Frantz Fanon (1961) constituent des œuvres fondatrices qui ont posé les bases de la société de demain. 

Certains revendiquent une place dans le système de santé pour les médecines alternatives (remboursement par la sécurité sociale, utilisation dans un cadre hospitalier, enseignement, production de diplômes officiels…). Qu’en pensez-vous ?

Pour autoriser ou rembourser les médecines alternatives, il faut que leur efficacité soit prouvée scientifiquement. N’oublions pas que dans le passé, des charlatans pouvaient s’enrichir en vendant des produits potentiellement dangereux pour les patients. Il faut donc être extrêmement vigilant et que les médecines alternatives soient contrôlées avec la même rigueur que la médecine traditionnelle. Nous donnerons des moyens au service public de la recherche médicale pour qu’il puisse le cas échéant travailler à l’évaluation de ces médecines alternatives.

Pensez vous que la régulation des pesticides bio doit être basée sur les mêmes critères que celle des pesticides de synthèse, ou que leur caractère « naturel » justifie d’employer des critères différents ?

 Oui nous pensons que les mêmes critères doivent être utilisés.

Au vu du changement climatique qui va impacter fortement le rendement des récoltes (cf dernier rapport du GIEC), pensez-vous que les biotechnologies (notamment les OGM) soient pertinentes pour développer, par exemple, des variétés résistantes aux sécheresses ou aux inondations ?

Le développement des OGM en laboratoire est utile pour avoir une meilleure compréhension des processus. C’est le cas notamment pour bien comprendre les différentes voies signalétiques pour le contrôle stomatique, qui détermine la résistance à la sécheresse. 

En revanche, nous sommes opposés à l’usage au champ de ces nouvelles techniques. D’abord, les OGM sont un moyen très puissant de privatisation du vivant et présentent donc un risque pour la souveraineté alimentaire de nombreuses populations. Ensuite, les flux de gènes naturels entraînent mécaniquement une pollution génétique des champs non OGM avec les champs OGM, et nous ne maîtrisons pas tous les risques associés à la diffusion non contrôlée de gènes de certaines espèces très éloignés de l’espèce dans laquelle elles ont été intégrées. Enfin, les changements de pratiques agricoles (itinéraires, choix des variétés, date des semences, mode d’irrigation,  systèmes de production basés sur les principes de l’agroécologie) et la sélection génétique traditionnelle constituent de puissants moyens d’adaptation au changement climatique. 

Il faut donc développer la recherche en génétique quantitative et en agriculture écologique plutôt qu’une fuite en avant technologique, par ailleurs peu opérantes pour les enjeux de stress hydrique.  

Faites-vous confiance à l’Autorité de Sûreté Nucléaire pour l’évaluation des risques liés au nucléaire ?

L’ASN n’est en réalité pas totalement indépendante. Le président est nommé par le gouvernement, et il existe des passerelles entre EDF et l’ASN. Le travail de l’ASN est de vérifier que tout va bien et d’évaluer les risques potentiels. Mais trop souvent, des « lettres de suite » de l’ASN sont restées sans effet de la part de l’exploitant (EDF). 

Et dans ces cas l’ASN n’a aucun pouvoir de sanction, à part exiger l’arrêt d’une centrale, à condition que les raisons soient impérieuses…Plus grave, l’ASN s’octroie le droit d’aller à l’encontre de ses propres prescriptions, et toujours dans le sens de l’exploitant, comme  dans l’affaire des calottes de l’EPR. 

Pour conclure, l’ASN est un outil efficace pour poser de bonnes questions concernant la sécurité des centrales, correct pour l’évaluation des risques, mais elle manque d’autorité, sauf en cas de dérapage évident.