Tout au long de la campagne, de nombreuses organisations (associations, syndicats, collectifs, etc) sollicitent Jean-Luc Mélenchon pour qu’il détaille ses propositions sur des enjeux qui les concernent. L’équipe du programme et les groupes thématiques répondent, pour chacune de ces demandes, en développant des points précis de notre programme l’Avenir en commun.

Comment les expériences locales peuvent-elles nourrir les réflexions à de potentielles réformes nationales ?

Les expériences locales de lutte contre la pauvreté sont fondamentales pour alimenter des politiques publiques nationales. Ces contributions doivent pouvoir s’exprimer lors des réformes menées par la participation des acteurs et actrices concerné·es à l’élaboration des politiques publiques.

Concernant le sujet du non recours par exemple qui est évoqué dans le courrier, nos propositions s’appuient sur les constats formulés par l’ODENORE et les associations de solidarité.

Ainsi, forts de leur expertise, nous proposons les principes et mesures suivantes dans notre plan consacré à l’éradication de la pauvreté : 

« L’objectif est clairement fixé : le gouvernement d’Union populaire est résolu à faire baisser immédiatement les ruptures de droits et le non-recours. Il ne s’en satisfait pas, n’accepte pas que des économies soient ainsi réalisées et ne prend pas de demi-mesures. Chaque allocataire doit recevoir ce à quoi il a droit.

L’automaticité des prestations sociales est la clé de voûte de la lutte contre le non-recours : il faut en finir avec ce système humiliant où chacun doit réclamer l’aumône et où l’on demande toujours plus à un pauvre qu’à tout·e autre citoyen·ne.

L’inconditionnalité est aussi garantie : les collectivités locales et organismes sociaux ne peuvent plus suspendre des aides sociales, comme l’ont fait plusieurs élus locaux de droite et d’extrême droite. Les aides universelles doivent être perceptibles quel que soit notre lieu de vie. L’État doit permettre l’égalité à ce titre.Le principe d’inconditionnalité suppose d’abord que les associations, services publics et organismes qui œuvrent contre la pauvreté ne soient pas utilisés comme des accessoires pour la mise en œuvre d’une politique migratoire : personne ne doit être privé de se nourrir, de se laver, d’un hébergement par crainte d’expulsion.

Le non-recours ne peut être une source d’économies budgétaires. Pour cela, nous fixons un principe simple : les sommes actuellement non versées du fait du non-recours doivent être budgetées et utilisées pour mettre en œuvre les politiques de lutte contre ce fléau.

Les moyens nouveaux ainsi consacrés permettent de renforcer des équipes de travailleurs et travailleuses sociaux·les. L’État prend intégralement en charge les dépenses nouvelles engendrées par la baisse du non-recours et le renforcement des équipes. 

La stratégie de lutte contre le non-recours fait l’objet d’un pilotage dédié, co-élaborée avec les organismes (CAF, Pôle emploi, Assurance maladie, caisses d’assurance retraite et de santé au travail), les collectivités exerçant des compétences sociales (communes et départements).

Elle s’appuie sur l’expertise indépendante des associations de solidarité et d’accès aux droits, des organisations regroupant des personnes en situation de précarité ainsi que sur celle d’universitaires et d’experts comme l’Observatoire des non-recours aux droits et services.

La stratégie fixe notamment des objectifs annuels contraignants pour les organismes publics en matière de non-recours, particulièrement pour les personnes en très grande marginalité qui n’accèdent pas aux canaux d’information classiques.

Pour déterminer, suivre et évaluer ces objectifs, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) est chargée d’animer une évaluation partagée et publique, qui complète ses publications actuelles. Elle s’appuie pour cela sur la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF), les conseils départementaux, et notamment les observatoires de l’action sociale mis en place par certains départements, ainsi que sur les analyses des besoins sociaux produits par les CCAS.

La stratégie nationale comprend notamment des grandes campagnes d’information régulières, co-élaborées avec les associations de personnes précaires et les comités d’usager·es des services publics, de façon à ce qu’elles soient conçues, déclinées et relayées efficacement pour toucher les personnes concernées. »

Comment fonder une protection sociale à la fois plus juste et plus efficace pour les plus précaires ? Doit-on légiférer ?

Il nous semble important de traiter ces deux questions ensemble.

Il faut arrêter de stigmatiser les plus précaires. À contre-courant des politiques anti-pauvres menées depuis des décennies, renforcer la protection sociale des plus précaires passe par le fait de remettre les droits sociaux et la dignité au cœur des politiques publiques.

Ainsi, dès le début du mandat, notre gouvernement propose au Parlement la création d’une garantie d’autonomie. La garantie d’autonomie complète les revenus de chacune et chacun pour permettre à toute personne résidant en France dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté d’arriver à ce niveau de revenus, soit 1063 euros pour une personne seule actuellement. Elle complète ainsi les minima sociaux actuels inférieurs au seuil de pauvreté (revenu de solidarité active [RSA], allocation de solidarité spécifique [ASS]…) pour assurer que personne ne vive sous le seuil de pauvreté. Elle remplace à partir de 2023 le RSA. Elle est accessible dès 18 ans pour les personnes indépendantes fiscalement et dès 16 ans pour les élèves de l’enseignement professionnel. Elle est revalorisée chaque année au montant du seuil de pauvreté publié par l’INSEE. 

Cette garantie d’autonomie est versée sans contrepartie et de manière automatisée afin que les bénéficiaires n’aient pas à faire la démarche de la réclamer. Ceci est un changement majeur par rapport au fonctionnement actuel des aides sociales que les personnes doivent solliciter, générant du non recours lorsqu’elles ne sont pas au courant de leurs droits.

Dans la même logique, nous souhaitons mettre les chômeurs.ses en sécurité sociale, à rebours des politiques de culpabilisation des bénéficiaires de l’assurance chômage. Nous portons l’établissement d’ une sécurité sociale professionnelle. À côté de la maladie, des accidents ou du chômage, elle couvre un nouveau risque : celui de la carrière. Cette sécurité sociale professionnelle vise à rendre le travail indépendant du capital, en permettant aux travailleuses et aux travailleurs de choisir librement leur domaine de formation et d’élever leurs qualifications. Pour cela, elle assure la continuité des droits personnels à la formation, aux congés, à l’ancienneté… qui deviennent ainsi transférables d’un contrat et/ou d’un employeur à l’autre.

Les services publics doivent être au coeur du bon fonctionnement de la protection sociale. Trop de guichets ou de permanences ont été fermés depuis vingt ans : la désertification des territoires par les services publics a accentué les inégalités d’accès. Il est essentiel que chacun·e puisse accéder aux services publics, à la justice, à l’éducation, à la culture… dont il ou elle a besoin près de chez lui. Cela passe par la réouverture des services publics essentiels de proximité partout sur le territoire et par le maintien de guichets physiques en complément de toutes les démarches dématérialisées. De même, l’extension de nouveaux espaces de gratuité pour les biens essentiels à la vie est une condition d’un système de protection sociale efficace.

L’efficacité et la justesse du système de protection sociale passe par la participation pleine et entière des personnes concernées aux politiques publiques. L’expertise des associations de solidarité et des organisations regroupant des personnes en situation de précarité doit être reconnue. Cela passe par leur association à la réalisation des diagnostics et à l’élaboration des propositions permettant de déployer des politiques publiques pertinentes.

Quelles sont vos propositions dans la lutte contre la grande précarité ?

Nous avons publié plusieurs plans visant à détailler de manière opérationnelle la manière dont nous prévoyons de lutter contre la pauvreté. Le plan “Eradiquer la pauvreté” y est consacré, mais cette question est aussi transversale à l’ensemble des autres plans thématiques qui ont été écrits.

L’éradication de la pauvreté est une de nos priorités. Notre ligne conductrice est claire : personne ne doit vivre sous le seuil de pauvreté. Pour se faire nous devons nous attaquer aux causes structurelles de la pauvreté. L’urgence pour permettre à toutes les personnes vivant sous le seuil de pauvreté d’en sortir est de leur donner rapidement et concrètement les moyens financiers de vivre décemment. La création de la garantie d’autonomie évoquée ci-dessus s’inscrit dans ce cadre. De même, le minimum vieillesse (allocation de solidarité aux personnes âgées [ASPA]) est également porté au niveau du seuil de pauvreté, pour qu’aucun·e retraité·e ne puisse continuer à vivre sous le seuil de pauvreté. L’allocation aux adultes handicapés (AAH) est déconjugalisée et portée au niveau du SMIC revalorisé, soit 1400 euros net par mois. Ce sont ainsi plus de dix millions de personnes qui bénéficient immédiatement d’une augmentation de leur niveau de vie et sortent de la pauvreté monétaire après la mise en place de ces mesures.

Par ailleurs, il est insupportable aujourd’hui que tant d’entre nous se retrouvent dans l’impossibilité de payer leurs factures d’eau, d’électricité, de gaz, de transports. Les libéralisations et privatisations de services publics ont fait exploser les prix de ces biens de première nécessité : il est temps de les sortir du chaos créé par le marché. En organisant leur gestion collective, nous instaurerons de nouveaux espaces de gratuité pour que chacune et chacun puisse subvenir à ses besoins essentiels. Cela passe par la mise en place de pôles publics pour la gestion des services essentiels à la vie (eau, électricité, etc). La gestion de ces pôles publics est démocratique : ils associent dans leur gouvernance les représentant·es des usager·es. Une place toute particulière est faite à la représentation des personnes en situation de pauvreté (via les associations de lutte contre l’exclusion notamment) et des associations de solidarité : garantir leur représentation est essentiel pour que chacune des décisions prenne en compte leurs intérêts.

Cela passe ensuite par la création des millions d’emplois nécessaires pour en finir avec le chômage de masse. Également par l’augmentation du niveau de vie et la revalorisation des plus bas salaires pour que chacune et chacun puisse subvenir à ses besoins essentiels, ainsi qu’une redistribution des richesses par l’impôt et les services publics. Mais nous ne pouvons pas attendre que ces mesures produisent leurs effets pour mettre fin à la situation terrible de celles et ceux qui vivent aujourd’hui chaque jour les effets de la pauvreté. La puissance publique doit agir d’urgence pour éradiquer la pauvreté et garantir à chaque individu le revenu, l’accès aux réseaux et aux biens nécessaires à une vie digne. Pour lutter contre la précarité et le chômage des jeunes, nous proposons également l’instauration d’un “emploi spécifique jeune” d’une durée de cinq ans dans le secteur non marchand et public. 

Par ailleurs, la question du logement est au cœur du sujet de la grande précarité. C’ est la condition d’une vie digne. Il permet de pouvoir exercer quotidiennement son emploi, de jouir de la santé et du bien-être, de fournir à ses enfants un espace protégé où ils peuvent grandir et s’épanouir. Il constitue la base à partir de laquelle se projeter dans l’ensemble des dimensions de la vie. Afin de rendre le droit au logement effectif, nous l’inscrirons dans la Constitution. Nous sortirons le logement et l’habitat des mécanismes du marché par un plan d’action volontariste qui démarrera dès le début du mandat. 

Notre feuille de route se décline en cinq priorités :

Concernant les sorties sèches des hébergements, par ailleurs illégales au regard de l’article L345-2-3 du Code de l’action sociale et des familles, nous nous donnerons les moyens d’y mettre un terme. 

Plus généralement, nous nous sommes dotés d’un plan « zéro sans abri » qui sera mis en œuvre au sein du gouvernement de l’Union Populaire par un Haut-commissaire. La philosophie du plan est la suivante :

Le premier objectif fixé par le gouvernement est de mettre à l’abri, d’ici la fin de l’année 2022, toutes les personnes qui dorment à la rue. Cela nécessite de trouver des solutions rapidement mobilisables pour les dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui dorment dehors. Le plus urgent est de fournir à ces personnes un toit, un endroit chaud, des lits, des sanitaires, une aide alimentaire, un accès aux soins et un diagnostic social, sans les séparer de leurs proches.

Cet objectif de très court terme est complémentaire à la philosophie globale de notre politique : fournir à chaque ménage un logement pérenne. Dès le début de mandat, ces deux stratégies s’alimentent. En effet, les places d’hébergement d’urgence sont aujourd’hui engorgées du fait de la difficulté pour les personnes accueillies d’accéder à un logement pérenne. L’accès au logement libérera rapidement des places d’urgence, contribuant ainsi à respecter notre engagement de ne plus laisser personne dormir dehors dès l’hiver 2022. 

Notre plan « zéro sans-abri » est donc inédit à la fois dans le montant des moyens mobilisés (3,7 milliards d’euros) et dans la volonté d’articuler réponse à l’urgence et accès au logement pérenne.