Le Club des juristes et LexisNexis

Tout au long de la campagne, de nombreuses organisations (associations, syndicats, collectifs, etc) sollicitent Jean-Luc Mélenchon pour qu’il détaille ses propositions sur des enjeux qui les concernent. L’équipe du programme et les groupes thématiques répondent, pour chacune de ces demandes, en développant des points précis de notre programme l’Avenir en commun.

Nous répondons ci-dessous aux questions du Club des juristes et de LexisNexis.

1) Si vous êtes élu à la présidence de la République, comptez-vous ériger la politique de qualité du droit en politique publique prioritaire ? 

L’Avenir en commun souhaite rendre concret le principe d’égalité de tous les Français, largement bafoué ces dernières années. L’égalité passe par la loi. Or, on observe une déconnexion des représentants élus – en charge de voter la loi et de « fabriquer » le droit – vis-à-vis des concitoyens, d’une part, une technocratisation des grandes administrations et des grandes juridictions, d’autre part. La qualité du droit, (c’est-à-dire son accessibilité, son caractère lisible et compréhensible de tous) en pâtit certainement. Le concours d’experts du droit, en premier lieu les avocats, doit être plus aisé pour les citoyens. Le droit doit surtout être un instrument pacifique, collectif de construire du lien – en bref, de faire société.   Rendre le droit plus simple, accessible à toutes et tous, est un enjeu d’égalité dont L’Avenir en commun se saisira.

Nonobstant, une nuance s’impose quand la question de la qualité du droit déborde sur celle de sa « quantité ». Le débat sur l’excès des normes est un trompe-l’œil car cette critique encourage implicitement le retrait de l’Etat de tous les domaines où il est susceptible d’intervenir : fiscalité, normes environnementales ou sanitaires, règles du travail que l’on abandonne à des négociations par branche voire par entreprise… Moins de droit, c’est moins d’État. Or, la crise sanitaire nous démontre une fois de plus par la force concrète des choses que l’on ne saurait laisser une « main invisible » autoréguler les relations humaines. Cela est inefficace. Les normes sont politiques. Certains veulent qu’elles profitent à des petits groupes de puissants pour appuyer leurs avantages de classe. Au contraire, d’autres comme nous, considèrent celles-ci comme indispensables pour rétablir la justice sociale, protéger les plus fragiles ou encore affronter les défis immenses du changement climatique.  

Un droit de qualité  émane de la souveraineté du peuple, le protège et lui est accessible.

2) Quelles sont les mesures proposées dans votre programme pour endiguer la dégradation de la qualité du droit ? En particulier, quelles sont les mesures proposées dans votre programme pour lutter contre l’inflation et l’instabilité normative ? 

“Chaque génération est un peuple nouveau” nous disait Tocqueville. Le programme de l’Avenir en commun propose dans cette philosophie la plus belle des mesures pour endiguer la dégradation de la qualité du droit. Il s’agit de celle du passage à la 6ème République qui sera définie par une Assemblée constituante. Le droit fera enfin l’objet d’un débat politique spécifique, sur la manière d’inventer, éditer, produire et écrire les normes : aux représentants du peuple de s’en emparer. En parallèle de ce changement d’architecture et de paradigme, renforcer l’éducation juridique autant que la représentativité des institutions, des administrations et des juridictions constitueront des chantiers urgents. 

3) Que feriez-vous pour lutter contre l’inflation des ordonnances de l’article 38 de la Constitution ? 

Le programme de l’Union Populaire que je porte propose la fin de la Vème République, car elle est construite contre son organe le plus démocratique : le Parlement, et notamment l’Assemblée nationale. Si la Constitution de la Vème République envisageait une séparation des domaines de la loi et du règlement à travers ses articles 34 et 37 dans un but initial de protection du pouvoir exécutif face aux menaces des parlementaires, le fait majoritaire résultant de l’inversion du calendrier électoral a conduit à l’accaparement du pouvoir législatif par le pouvoir exécutif. 

Ce quinquennat a été celui d’une nouvelle ère d’effacement du Parlement. Ordonnances, délais resserrés, article 49.3, temps de parole réduit pour l’opposition : toutes les armes antiparlementaires ont été utilisées. Or, la délibération parlementaire est le présupposé de toute démocratie saine. Durant la pandémie, le recours constant à l’article 38 a provoqué une inflation jamais vue. Elle a transformé le Parlement en chambre d’enregistrement, sans visiblement inquiéter le Conseil d’État. Et soudain, la décision du Conseil Constitutionnel du 28 mai 2020 est venue introduire un changement radical. Elle a donné au gouvernement un pouvoir législatif sans contrôle parlementaire. Cela existe-t-il ailleurs qu’en France, dans un pays qui se dit démocratique ? Nous reviendrons à la raison : le recours aux ordonnances sera limité et le contrôle parlementaire rétabli.

4) Que proposez-vous pour améliorer la qualité des études et fiches d’impact et, plus largement, l’évaluation ex ante et ex post des normes ? 

D’abord, examinons les causes. Nous payons ici vingt ans de démantèlement des moyens de l’action publique. Mais aussi de la recherche publique, notamment en droit, en histoire du droit et en sociologie du droit, qui constituent l’outil historique le plus valable (car indépendant du pouvoir politique, capable de suggestions d’intérêt général et de comparaisons internationales). Pour améliorer la qualité des études et l’évaluation des normes, il faudra restaurer ces moyens. 

Par ailleurs, le recours à l’article 37-1 de la Constitution permettant de créer des lois et règlements à caractère expérimental va croissant. Mais cela demeure inefficace sans étude des conséquences et décision politique subséquente d’élargir ou clore l’expérimentation. Plus généralement, prenons garde de ne pas créer un droit à la carte qui produirait inévitablement de la différenciation sociale. Un vaste chantier d’évaluation des normes expérimentales doit en conséquence être lancé. 

5) Enfin, quelles mesures prendriez-vous pour favoriser l’émergence d’une culture de la qualité du droit chez tous les acteurs concernés : ceux qui élaborent, ceux qui interprètent et ceux qui appliquent la législation et au premier rang desquels les citoyens ?

La qualité du droit implique le rétablissement d’un véritable régime parlementaire. La Vème République a fortement mis à mal le légicentrisme français. J’aime à rappeler cette phrase célèbre d’un constituant de 1848, Henri Lacordaire: « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». La loi et plus largement le droit sont un bien commun et le socle de notre identité républicaine. L’enseignement d’une culture juridique dès le plus jeune âge me semble indispensable pour accompagner l’éveil des citoyens à la problématique de la qualité du droit. 

Mais souvent, je le vois, l’enseignement, l’élaboration et l’exercice du droit sont perçus comme quelque chose d’inaccessible voire d’élitiste. Je souhaite porter le projet d’institutions ouvertes au reste de la société et je salue l’organisation d’événements ouverts comme la Nuit du Droit qui a pour but de démocratiser le droit. À l’image des journées du patrimoine, organiser des journées disciplinaires me semble être une idée intéressante. 

C’est pourquoi, dans le cadre de ma campagne, en croisant formation à la légistique et éducation populaire, nous organisons régulièrement des Ateliers des lois : les citoyens s’assemblent pour rédiger une loi, qui est portée ensuite dans les enceintes parlementaires par nos élus. Ce faisant, ils se confrontent réellement à la difficulté de l’écriture législative et à la transformation d’une idée de progrès en un texte compréhensible. Ils découvrent que la loi n’est pas qu’une décision subie, mais aussi la forme d’expression obligée de toutes les causes.