Ôlyrix

Tout au long de la campagne, de nombreuses organisations (associations, syndicats, collectifs, etc) sollicitent Jean-Luc Mélenchon pour qu’il détaille ses propositions sur des enjeux qui les concernent. L’équipe du programme et les groupes thématiques répondent, pour chacune de ces demandes, en développant des points précis de notre programme l’Avenir en commun.

Nous répondons ci-dessous aux questions posées par Ôlyrix.

Quel bilan faites-vous des décisions qui ont été prises pour la culture ces cinq dernières années ? En particulier :

– La manière dont les lieux de spectacle ont été pénalisés (fermeture, pass sanitaire puis vaccinal), mais aussi aidées, durant la crise du Covid ?

Comme de nombreux responsables de lieux et plus largement de nombreux professionnels de la culture, nous sommes très critiques de la gestion de la crise du Covid dans les lieux de spectacle. Nous considérons que la culture est essentielle, et aurait dû être traitée comme telle. Elle est d’ailleurs un droit fondamental reconnu par la Constitution. Les espaces culturels, salles de spectacle et festivals en tête, ont démontré très vite leur volonté et leur capacité de mettre en place des mesures efficaces pour bloquer la propagation de l’épidémie. Leur fermeture à répétition a été éprouvante et en bonne partie inutile. Elle relevait plus du symbole et de l’improvisation que d’une véritable logique sanitaire. 

Nous avons expliqué de façon approfondie en quoi le passe sanitaire puis le passe vaccinal étaient inadaptés comme outils contre l’épidémie. Un aspect majeur de cette inadaptation est l’inégal accès des Français à la vaccination (et plus largement aux soins). 

Les aides financières aux lieux culturels et aux professionnels étaient, dans ce contexte, un minimum. C’était nécessaire, mais cela n’a pas suffi à maintenir la tête de tous hors de l’eau, et les conséquences économiques et sociales de la pandémie vont se faire sentir. Une récente étude du Conseil d’analyse économique, organisme public sous l’autorité du Premier ministre, montre que la fragilité est très grande et l’avenir inquiétant pour les salles de spectacle, notamment les plus petites. Or, Emmanuel Macron entend bien revenir, dès que possible, à la politique d’austérité qu’il a mené dans la culture pendant 5 ans : c’est ce qui découle des documents budgétaires qu’il a transmis à Bruxelles, comme des déclarations du ministre des finances, Monsieur Le Maire. Cette austérité, ce sera la fin brutale des aides temporaires aux salles de spectacle (alors qu’elles ne sont pas tirées d’affaire) et de “l’année blanche” pour l’intermittence, le durcissement des critères de l’intermittence, et pas de solution pour de nombreuses professions culturelles très saisonnières ou fractionnées qui n’entrent pas dans l’intermittence. 

Nous voulons traiter tous ces enjeux dès notre arrivée au pouvoir. 

– Le passe culture ?

Nous ne sommes pas opposés à l’idée d’un chèque culture, qui existait déjà par ailleurs dans certaines collectivités. Néanmoins, ce dispositif est problématique dans sa mise en place et dans son application de recommandation par algorithme qui amène l’État a emboîté le pas aux mastodontes des industries culturelles, notamment les plateformes états-uniennes comme Netflix ou Spotify qui développent ces algorithmes de recommandations très spécifiquement pour augmenter le temps de consommation et ne proposer aux utilisateurs que d’approfondir les goûts avec lesquels ils arrivent sur ces plateformes. 

Notre conception de la place du service public des arts et la culture est celle d’être le garant de la diversité. C’est pourquoi nous accélèrerons une dynamique déjà en cours, à savoir l’orientation des fonds du Pass Culture dans l’Éducation artistique et culturelle à l’école. Nous ferons évoluer son dispositif pour qu’il devienne un outil d’accompagnement humain, de découverte et de curiosité.

Nous reprochons également l’absence de transparence sur le fonctionnement des algorithmes et l’orientation des contenus proposés aux utilisateurs. Il est nécessaire d’ouvrir chaque citoyen en devenir à de nouvelles pratiques : aller au musée ou au théâtre nécessite d’être accompagné, ce sont des usages qui s’acquièrent. 

Pour cela, nous mettons notamment en place des jumelages pour tous les établissements scolaires avec des établissements culturels afin de mener des projets profitant à tous les élèves et leur permettant la pratique artistique, la relation aux savoirs, le contact avec les œuvres et la rencontre avec les artistes.

Quel est votre projet pour la culture ?

– Quels seront vos objectifs et avec quels moyens entendez-vous les atteindre ?

Nous avons un objectif : réinstituer le service public des arts et de la culture, après des années d’austérité, de destruction à bas bruit, de privatisation rampante. 

Le ministère de la Culture et le service public de la culture seront donc dotés des moyens nécessaires pour mener leurs missions à bien en portant le budget consacré aux arts et à la culture à 1 % du PIB par an (ce qui correspond à une hausse d’un tiers du budget du ministère). Cela permettra d’accroître les crédits alloués à la culture en général : dans les autres services de l’État, les dotations aux collectivités locales, les moyens des DRAC, du centre national de la musique, etc. 

L’émancipation collective doit faire partie des priorités d’un pouvoir politique soucieux de la dignité de tous les citoyens. Celle-ci passe en priorité par l’éducation artistique et culturelle. Nous lancerons, dans ce but, un plan de formation et de recrutement dans les métiers de l’accompagnement culturel et de la médiation culturelle de proximité. Par ailleurs, l’accès aux arts et à la culture doit se faire tout au long de la vie, notamment à l’université, dans les comités d’entreprise, les lieux de santé ou encore les lieux de privation de liberté.

Nous définirons un nouveau pacte social avec les travailleurs de l’art et de la culture où priment la confiance et le temps long. Cela passe notamment pas la reconnaissance du travail de l’art. En lien avec les organisations professionnelles de ces travailleurs, nous rendrons effectifs tous les droits sociaux (nous pensons au respect des conventions collectives, au droit à l’assurance maladie, aux congés parentaux et à la retraite), et négocierons pour les améliorer encore. Nous nous inspirerons des systèmes vertueux comme l’intermittence du spectacle pour l’adapter à d’autres professions discontinues.

Nous veillerons à conforter et compléter le maillage culturel dans tout le pays. Lieux publics tels que les médiathèques ou les conservatoires, mais aussi lieux privés indépendants et/ou sans but lucratif : librairies et disquaires, salles de concert et cinémas, qui assurent la présence et la diversité culturelle partout et pour tous. Cela passe par un appui à l’implantation, avec des lieux de culture à loyer modéré, par un rééquilibrage des subventions en faveur de ces lieux petits et indépendants, ou encore par le conventionnement dans le temps long, qui tourne le dos aux logiques d’appel à projets et de mise en concurrence. 

– Que contiendra la lettre de mission que vous adresserez à votre Ministre de la Culture ?

Les éléments de réponse à la question précédente constitueront les grands axes de la lettre de mission de la ou du ministre de la Culture. 

– France Télévision a exclu ces dernières années le spectacle vivant de ses grandes chaines (les diffusions étant en seconde partie de soirée sur France 5) : qu’en pensez-vous ? Comment envisagez-vous de rendre ces arts accessibles au plus grand nombre ?

C’est effectivement une carence du service public audiovisuel. Les chaînes privées ne respectent pas non plus leurs engagements pris dans les cahiers de charge auprès du CSA et désormais de l’ARCOM. 

Nous ferons de l’audiovisuel public un outil actif de valorisation de la diversité dans tous les registres artistiques, à travers une programmation mettant en avant différents registres cinématographiques, littéraires, musicaux et de spectacle vivant à des heures de grande écoute.

– Comment comptez-vous faire évoluer le budget de la culture ?

En 1981, François Mitterrand a porté la culture à 1% du budget de l’Etat. En 2022, nous proposons de l’amener à 1% du PIB, ce qui représente une hausse d’un tiers du budget du ministère de la Culture. Cet effort doit permettre à la fois plus de présence de la culture partout en France et un souci de diversité des formes artistiques, plus de gratuité, un pacte social protecteur avec les travailleurs de l’art. C’est aussi le moyen de mettre en place de nouveaux grands travaux pour la culture, par exemple pour aller vers l’égalité territoriale en matière de structures de création, de diffusion, de mémoire et de pratique artistique et culturelle notamment dans les zones rurales, les quartiers populaires et les Outre-mer.

– Prévoyez-vous en particulier des actions pour le spectacle vivant, la musique classique et l’opéra ?

Nous mettrons en place une nouvelle politique de la création, qui concernera bien entendu le spectacle vivant. Le spectacle vivant, la musique classique et l’opéra bénéficieront comme beaucoup d’autres domaines de la hausse des dotations que permettra le fait de passer le budget consacré aux arts et à la culture à 1% du PIB. Cela permettra de sortir de l’austérité qui mine de manière lancinante depuis trop longtemps l’ensemble des structures et des équipes artistiques. À titre d’exemple, nous avons conscience des problèmes posés par le gel des budgets pour l’opéra et les arts lyriques, souvent perçus comme étant très soutenus par rapport à d’autres domaines alors qu’il s’agit de registres qui nécessitent des équipes conséquentes ainsi que beaucoup de permanents. Comme peuvent le pointer les Forces musicales, cette stagnation des budgets depuis plus de trois quinquennats pousse irrémédiablement à une baisse des budgets consacrés à la création. Sortir de l’austérité nous permettra de ne plus avoir à faire de choix qui ne peuvent être qu’arbitraires entre les registres artistiques.

À cela s’ajoutera un changement de paradigme dans les financements publics, en sortant des logiques devenues systématiques de l’appel à projet pour renouer avec celles des conventionnements sur plusieurs années. Cela concerne autant les équipes artistiques que les structures ainsi que les associations culturelles de tous types de mission, notamment dans l’éducation artistique et culturelle. Nous mettrons également en place des plans de grande envergure consacrés à l’implantation et à l’itinérance des travailleurs de l’art.

Pour mettre en place cette ambition, nous redonnerons au Ministère de la Culture, et à ses services centraux comme décentralisés, leur capacité d’agir en leur donnant les moyens budgétaires et humains nécessaires pour mener leurs missions à bien, avec avec un fonctionnement fondé sur le temps long donc, mais aussi sur la coopération interministérielle, la connaissance des métiers, l’analyse, l’évaluation qualitative et le dialogue avec les travailleurs de l’art. Il s’agit d’un retour de l’État qui permet et qui accompagne, en coopération planifiée avec les organisations professionnelles, les structures et les collectivités territoriales. 

Enfin, l’importance centrale que nous donnerons à l’éducation artistique et culturelle tout au long de la vie aura pour but de garantir la familiarité de toutes et tous avec les arts, y compris le spectacle vivant, la musique classique et l’opéra. 

– Envisagez-vous de renforcer les liens entre l’éducation nationale et la culture ?

Oui, absolument. Comme nous l’avons indiqué, la priorité du service public des arts et de la Culture sera de mener une nouvelle étape de démocratisation culturelle. Contrairement à ce que laisse entendre Mme Bachelot, tout n’a pas été tenté, et beaucoup des difficultés tiennent au manque de moyens et au saupoudrage qui en découle. Nous ferons de l’éducation artistique et culturelle le fer de lance de notre politique publique dans les arts et la culture.

Nous professionnaliserons et revaloriserons la place de l’éducation artistique tout au long de la scolarité, dans les temps scolaires, périscolaires et extrascolaires pour assurer un parcours croisant découverte, pratique et connaissance dans toutes les filières. En abrogeant les réformes Blanquer dans l’éducation, nous donnerons aux enseignements artistiques la place qu’ils méritent dans la constitution des personnes et des citoyens, à la fois dans l’importance de ces enseignements dans les cursus, mais également les moyens qui leur seront alloués. Pour développer ce contact avec les arts et cette pratique artistique de toutes et tous, nous jumellerons également chaque établissement scolaire avec au moins une structure culturelle et développerons les classes à projet artistique ainsi que la présence de travailleurs de l’art dans les établissements scolaires dans des dispositifs, qui bénéficient autant à ces travailleurs qu’à la communauté éducative. Cette place de l’éducation artistique et culturelle se déclinera dans ses trois piliers essentiels : enseignements sur l’art et développement d’un regard critique, contacts avec les œuvres et les artistes et pratique artistique.

L’éducation artistique et culturelle se fera tout au long de la vie. Nous soutiendrons son développement dans l’enseignement supérieur, dans les entreprises (via les CSE), dans les lieux de soin et dédiés au grand âge ou au handicap, jusqu’aux lieux de privations de liberté. Pour cela, nous mettrons en place un grand plan de formation et de recrutement dans les métiers de la médiation et de l’accompagnement culturel, tout niveau de diplôme confondu, en lien avec les organismes d’éducation populaire et l’enseignement supérieur. 

– Les nominations aux postes de direction des opéras sont pour la plupart décidées ou validées par le Ministère de la Culture, voire par le Président lui-même : quels seront vos critères de choix ?

La confiance envers les travailleurs de l’art et la diversité feront partie des lignes de crête de notre action publique dans les arts et la culture. Cela s’appliquera donc dans les nominations de direction de lieux culturels, afin de faire coexister dans l’ensemble du pays la multitude de registres esthétiques qu’il a la chance d’avoir et de pouvoir accueillir. 

La révolution citoyenne que nous porterons se déploiera également dans les arts et la culture, donnant une plus grande place aux représentants des employés ainsi que des usagers dans les instances des établissements culturels, qui remplaceront notamment la place que les mécènes privés peuvent prendre actuellement. Les formes de ces présences sont à expérimenter. Il ne s’agit pas de tomber dans la caricature d’un vote des programmations comme certains ont pu le proposer, mais nous faisons le pari que ces cadres d’échange seront riches et vertueux pour l’ensemble des parties prenantes. 

– Quelle est votre vision des conséquences de la crise ukrainienne actuelle sur le monde de la musique classique, et en particulier de l’éviction d’artistes russes ?

Cela n’a pas de sens de sanctionner les artistes russes sans distinction, a fortiori l’interprétation du répertoire classique comme c’est le cas par endroits. Le nécessaire soutien à l’Ukraine contre l’invasion russe peut trouver des formes plus judicieuses et plus éclairées pour s’exprimer.