Tout au long de la campagne, de nombreuses organisations (associations, syndicats, collectifs, etc) sollicitent Jean-Luc Mélenchon pour qu’il détaille ses propositions sur des enjeux qui les concernent. L’équipe du programme et les groupes thématiques répondent, pour chacune de ces demandes, en développant des points précis de notre programme l’Avenir en commun.

Le BLOC (Bureau de Liaison des Organisations du Cinéma) regroupe 14 organisations professionnelles du cinéma indépendant, représentant des scénaristes, réalisateurs, producteurs, distributeurs, éditeurs, exploitants, agents, artistes-interprètes et techniciens. Il est co-présidé en 2022 par Catherine Corsini, cinéaste membre de la SRF (Société des réalisateurs de films) et par Marie Masmonteil, productrice membre du SPI (Syndicat des producteurs indépendants).

Quelles seraient vos 3 priorités pour la culture ? 

Nous voulons remettre au cœur des objectifs du ministère de la Culture l’émancipation par les arts sur l’ensemble du territoire. Le ministère de la Culture et le service public de la culture seront donc dotés des moyens nécessaires pour mener leurs missions à bien en portant le budget consacré aux arts et à la culture à 1 % du PIB par an. Cela permettra d’accroître les crédits alloués à la culture en général : dans les autres services de l’État, les dotations aux collectivités locales, les moyens des centres nationaux du livre, de la musique, du jeu vidéo (qui sera créé), et bien entendu du cinéma.

L’émancipation collective doit faire partie des priorités d’un pouvoir politique soucieux de la dignité de tou·tes les citoyen·nes. Celle-ci passe notamment par l’éducation artistique et culturelle. Nous lancerons notamment un plan de formation et de recrutement dans les métiers de l’accompagnement culturel et de la médiation culturelle de proximité. Par ailleurs, cet accès doit être permis tout au long de la vie, notamment à l’université, dans les comités d’entreprise, les lieux de santé ou encore les lieux de privation de liberté.

Enfin nous définirons un nouveau pacte social avec les travailleur·ses de l’art et de la culture où priment la confiance et le temps long. Cela passe notamment pas la reconnaissance du travail de l’art. En lien avec les organisations professionnelles de travailleur·ses, nous travaillerons donc à rendre effectifs tous les droits sociaux que les travailleur·ses méritent, négocierons avec ces syndicats pour les améliorer et nous inspirerons des systèmes vertueux comme l’intermittence du spectacle pour l’adapter à d’autres professions discontinues.

Comment envisagez-vous la gouvernance, le budget, les missions et les objectifs  des instances suivantes : Ministère de la culture (et ses émanations territoriales, les  DRAC) ? Audiovisuel public ? CNC ? 

Nous souhaitons réinstituer le Ministère de la Culture. Porter les budgets publics de la culture à 1 % du PIB équivaut à une hausse de plus d’un tiers du budget du ministère. 

Nous refusons une énième réforme de structure tant il a été ballotté et affaibli ces vingt dernières années. De même pour les DRAC qui doivent être renforcées car elles sont garantes de l’égalité territoriale dans la diffusion de la culture. Nous sortirons de la mise en concurrence pour faire de la démocratisation culturelle, de la bifurcation écologique, de l’émancipation de toutes et tous ses priorités. 

Nous souhaitons conforter l’audiovisuel public dans ses missions de service public d’information, de découverte, d’éducation et de divertissement. Pour qu’il puisse les accomplir, il doit disposer d’une ressource financière qui lui assure autonomie et prévisibilité budgétaire, comme le fait aujourd’hui la redevance. Nous garantissons un financement pérenne et évolutif de l’audiovisuel public pour atteindre à terme le niveau de financement des grands voisins européens. Cela doit se faire dans un esprit de justice fiscale.

S’agissant du CNC, nous sommes attachés à sa mission essentielle d’accompagnement de la création, qui s’appuie sur son expertise éprouvée et sur son autonomie, y compris financière (taxes affectées). Nous souhaitons réformer la gouvernance des commissions des aides du CNC pour la rendre plus transparente et démocratique, avec l’objectif d’un soutien à plus de diversité dans la création. À cet égard, nous entendons également faire de l’égalité femmes-hommes un critère plus structurant de son soutien, de même que le respect des règles sociales (par exemple le respect des conventions collectives dans la production). Enfin, le CNC devra accompagner la bifurcation écologique, ce qui suppose d’en faire un critère pour les aides.

Selon vous, quelle doit être l’implication de l’Etat dans le financement de la création  cinématographique indépendante et de ses acteurs : crédits d’impôt, financement  des régions selon le principe « 2€ pour 1€ », etc. ? 

Le cinéma français, et plus particulièrement le cinéma indépendant, participe de notre exception culturelle et du rayonnement de la France. Il nous faut le défendre et le protéger. 

Cependant, la concentration de l’industrie à tous les niveaux (production, distribution, diffusion) entre les mains d’un petit nombre d’acteurs privés puissants est néfaste. La concentration dans la production et la distribution rend plus difficile la création d’une offre cinématographique diverse, et sa présentation au public. La rentabilité écrase les autres aspects. Elle favorise une offre moins-disante, moins originale, moins risquée, au détriment des jeunes réalisateurs et réalisatrices. Cela se ressent dans l’attribution des aides du CNC : l’évolution de la nature des films qui reçoivent l’avance sur recette avant réalisation en est un des exemples les plus concrets. 

Actuellement, dans l’ensemble des secteurs des arts et de la culture, c’est aux milliardaires et aux grandes entreprises qu’on laisse le financement de la création. Alors que ces dynamiques tendent à s’accélérer dans le cinéma français, le CNC doit être un rempart et le garant du maintien de sa diversité et son indépendance – autant dans la création que dans les structures qui la permettent (producteurs, distributeurs, exportateurs, etc). 

Comment comptez-vous lutter contre la précarité des professionnels du secteur,  des auteurs aux acteurs de la diffusion culturelle, notamment en cette sortie de crise  : création d’emplois, statut d’artiste-auteur, statut d’intermittent du spectacle,  régime spécifique d’assurance chômage ? 

Les travailleurs et travailleuses de l’art sont les chevilles ouvrières de la démocratisation culturelle. Nous garantirons à l’ensemble des travailleurs et travailleuses de l’art l’accès à tous les droits sociaux, comme la retraite, les congés maladie et parentaux, la médecine du travail, etc

Sur les intermittents du spectacle, cela passe par une amélioration de leur régime sur la base du socle commun de revendications du mouvement des occupations de théâtre de 2021.

Nous créerons également un Centre national des artistes-auteur·ices qui organisera des élections professionnelles pour négocier et mettre en place une protection sociale adaptée à ces professions, encourageant la création comme l’intermittence du spectacle et mettre en place une continuité de revenus d’urgence pour les artistes-auteur·ices le temps de la mise en place de ce nouveau régime. 

Enfin nous titularisations les précaires et les permittent·es du service public de la culture et de l’audiovisuel public

Prévoyez-vous de mettre en place une année culturelle exceptionnelle pour pallier  les difficultés du secteur en cette sortie de crise ? A quoi ressemblerait-elle ? 

Nous sommes bien conscients des difficultés du secteur qui a été profondément impacté par la crise sanitaire. Cependant cette dernière n’a fait qu’accélérer les dynamiques nocives dans la culture à l’œuvre depuis trois quinquennats. Après les avoir qualifiés de « non-essentiels » pendant des mois, le pouvoir macroniste persiste à considérer les arts et la culture comme de simples éléments de consommation ou de communication.

Ainsi plus que des mesures exceptionnelles sur une année qui ne serait qu’un pansement, nous souhaitons travailler sur le long-terme avec un grand plan pour le développement du cinéma français dont voici les grandes lignes : 

Quelle politique publique pour : 

• Soutenir et développer la création émergente française ? 

Nous instituerons un « domaine public commun » pour financer la création nouvelle, constitué d’une redevance sur les droits patrimoniaux des créateur·ices à partir de leur décès et d’une taxe sur les usages exclusivement commerciaux des œuvres qui ne sont plus soumises à droits d’auteur.

Nous mettrons également en place des critères précis de diversité qui incluront des obligations d’investissement et de mise en avant des nouveaux cinéastes pour les chaînes de télévision françaises. 

• Favoriser l’accès de tous à une plus grande diversité d’œuvres et atteindre les territoires où la culture n’est pas assez présente ?  

Nous avons à coeur de valoriser et soutenir les lieux physiques (librairies indépendantes, cinémas avec un ou quelques écrans, lieux physiques pour le jeu vidéo, scènes de spectacle vivant, salles de concerts, disquaires etc.), en veillant à leur déploiement accru sur tout le territoire, notamment dans les zones rurales, quartiers populaires ou encore les Outre-mer qui sont aujourd’hui laissés pour compte. 

Par ailleurs, il est essentiel de redonner aux chaînes de télévision du service public un rôle central dans la diffusion des œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Nous sortirons des logiques de rentabilité et augmenterons leurs obligations d’achat pour les chaînes de télévision française, notamment dans le service public.

En complément, nous souhaitons créer une médiathèque publique en ligne gratuite regroupant les œuvres tombées dans le domaine public et une proposition d’œuvres récentes programmées temporairement.

• Favoriser l’expérience du collectif en salles de cinéma ? Quelle régulation  d’après vous pour le secteur de l’exploitation et de la distribution ? 

La salle est le cœur du cinéma. Alors que la crise sanitaire a fragilisé la sortie physique des films, il faut revenir sur des programmations sur le temps long permettant aux œuvres d’exister. Nous restituerons au médiateur du cinéma une véritable autorité de régulation, avec un pouvoir de sanction. Nous instaurons ainsi des obligations de diversité ambitieuses dans les salles de cinéma en commençant par interdire aux multiplexes de programmer le même film dans plusieurs salles à la fois.

Nous faisons également le constat d’une envolée des prix dans certains multiplexes. Nous encadrerons à la baisse les tarifications des billets de cinéma – comme pour l’ensemble de l’offre publique et privée culturelle) et imposerons des tarifs progressifs de manière à garantir l’accès à tous les publics dans le cadre d’un plan de soutien au cinéma. 

• Développer l’éducation à l’image auprès de tous les publics (dispositifs  actuels école, collège et lycée au cinéma, plans de formation aux métiers du  cinéma…) ? 

L’éducation artistique et culturelle est le fer de lance de nos politiques culturelles  car c’est grâce à elle que se cultive la sensibilité artistique de chacune et chacun. Nous encouragerons et renforcerons les dispositifs d’éducation à l’image qui existent déjà, ceux aujourd’hui menés par “Passeurs d’images” (école, collège et lycée au cinéma) mais aussi d’autres comme “Les Enfants des lumières” pour les rendre accessibles à toutes et tous sur l’ensemble du territoire français. 

• Encourager le rayonnement du cinéma français à l’internationale (soutien à  l’export, Unifrance, Ministère des affaires étrangères) ? défendre l’exception  culturelle française ?

L’industrie cinématographique française et son exception culturelle sont un élément incontestable du rayonnement de la France qu’il faut encourager.

La France a été pionnière dans le secteur des ventes internationales et accueille chaque année en même temps que le Festival de Cannes un des plus gros marché du film au monde. Nous devons nous appuyer sur cela pour étendre la diffusion des films de langue française. Unifrance est un relai précieux et la récente fusion avec TVFI ne doit pas être un prétexte pour baisser les moyens alloués au secteur. 

Nous renforcerons aussi le réseau des des Instituts et Alliances françaises à l’étranger qui sont essentielles dans la diffusion des œuvres francophones à l’étranger. 

Face à l’arrivée des SMAD extra-européennes dans notre écosystème, comment  pensez-vous maintenir la pluralité du tissu économique des entreprises de  production et de distribution françaises ? 

Il ne fait aucun doute que la croissance rapide des services de médias audiovisuels à la demande a bouleversé l’écosystème du cinéma français. Ces dynamiques ont été renforcées par la crise sanitaire. Pendant la fermeture des salles de cinéma, les plateformes étasuniennes ont vu leur nombre d’utilisateurs augmenter. À chaque grand bouleversement, l’État français a légiféré afin de garder l’exception culturelle si précieuse à la création. Il y a eu la création du CNC après la seconde Guerre Mondiale ou la Loi Léotard en 1986 sur l’audiovisuel français à la suite de l’arrivée de Canal +. Aujourd’hui, si de nouvelles réglementations sont nécessaires, les réponses apportées ne semblent pas aller dans le sens d’une véritable politique culturelle de soutien aux auteurs et la création. À chacune de ces étapes de l’histoire du cinéma citée précédemment, c’est bien l’action d’un État stratège garant de la diversité et de l’émancipation collective qui a permis le développement de la singularité de l’industrie cinématographique française.

Nous ne sommes pas dupes sur l’objectif des plateformes états-uniennes (Netflix, Disney, etc) qui incitent à la consommation pour nourrir leurs profits. Nous avons une vigilance particulière sur le système de rémunération des auteurs par les géants numériques, qui ne leur permet pas de vivre de manière décente actuellement avec ce type de diffusion. Dans une tribune publiée le 30 novembre par une de vos organisations membres la SRF, il était dit qu’un préachat Netflix permettait à un créateur de vivre entre trois jours et deux semaines au SMIC contre dix-huit mois pour un préachat Canal. Il est important de rééquilibrer les contrats avec ces plateformes pour améliorer la rémunération des créatrices et créateurs, et de mettre en place des nouvelles règles de répartition basées sur la solidarité. 

En ce qui concerne la diversité des œuvres, ces plateformes nous semblent développer des usages nuisibles, en favorisant des contenus formatés par des algorithmes. Afin de limiter cet impact néfaste pour la création et les usager·es, nous obligerons les plateformes de streaming à rendre leurs algorithmes et les effets de leurs algorithmes publics, et à permettre à toutes et tous de changer les paramètres de préférences de contenus. Les choix éditoriaux devront également respecter des règles de diversité afin que les contenus les plus fragiles ne soient pas invisibilisés.

Nous en finirons avec les avantages indus accordés aux grandes plateformes de streaming, qui ne paient souvent pas leurs impôts en France. La mise en place d’un impôt universel qui permet de taxer les entreprises sur la base de leur activité réellement effectuée en France mettra un terme à cet avantage déloyal.

Enfin, comme nous l’avons exposé précédemment, la salle de cinéma restera au cœur de l’ensemble de notre action. Elle est la seule à permettre l’émergence de nouvelles formes de créations et est essentielle au cinéma indépendant. 

Quelles mesures envisagez-vous de mettre en place pour lutter contre le piratage  des œuvres et pour imposer le respect du droit d’auteur ? 

Tout d’abord, nous maintenons l’idée d’une licence globale pour la prise en compte et la rémunération du droit d’auteur, en amont de la diffusion des œuvres. Cela nous permettrait de sortir de la logique punitive inefficace qui a inspiré la loi HADOPI. 

Ensuite, concernant la lutte en elle-même contre les infractions au droit d’auteur sur internet, il nous semble essentiel de remettre de la présence humaine dans le traitement des contenus litigieux. Cela implique donc de revenir à un traitement a posteriori et non plus a priori, dont nous avons vu beaucoup d’abus de sanction de censure dans de nombreux de cas récents. Tout ne peut pas être traité sans l’aide de logiciels, bien entendu, mais c’est un équilibre à trouver. Le choix ne peut d’ailleurs plus incomber aux seules plateformes en ligne qui héberge les contenus, car ce n’est pas à ce genre d’entreprise de constater des infractions légales. Nous sommes donc favorables à étudier la piste d’une surveillance mixte, humaine et mécanique, mais également par le biais de personnes assermentées pour pratiquer cette juridiction qui travaillent avec les équipes des plateformes. Pour financer cette supervision, une contribution serait demandée aux plateformes d’hébergement, qui réalisent des bénéfices conséquents, semble être une piste pertinente à explorer.

Enfin, concernant tant les plateformes que la nouvelle ARCOM, il faut garantir la transparence de leur action, afin de pouvoir publiquement choisir quelles pistes, techniques ou légales, sont les plus efficaces et respectueuses des droits fondamentaux en matière d’expression. 

Quelle place tient le cinéma dans vos pratiques culturelles ? Voyez-vous des films  en salles, à la télévision ou sur des plateformes ? A quelle fréquence ? 

Malheureusement, en campagne je n’ai pas le loisir d’aller au cinéma ! Ça me chagrine mais c’est comme ça. Par conséquent, je suis devenu un consommateur de plateformes en ligne. Elles ont encore accéléré la formation d’une culture populaire mondiale et même d’une contre-culture ! J’ai été frappé par la présence dans les mobilisations de révolutions citoyennes en 2019 et 2020, à des milliers de kilomètres de distance, de masques de la Casa de Papel. Moi même, j’ai regardé cette série. Je regarde aussi la télévision, depuis plusieurs décennies, je suis un fan inconditionnel de Zorro !