La Langue Française

Tout au long de la campagne, de nombreuses organisations (associations, syndicats, collectifs, etc) sollicitent Jean-Luc Mélenchon pour qu’il détaille ses propositions sur des enjeux qui les concernent. L’équipe du programme et les groupes thématiques répondent, pour chacune de ces demandes, en développant des points précis de notre programme l’Avenir en commun.

Lors de son discours au sommet de la francophonie, prononcé par Emmanuel Macron à Erevan en octobre 2018, notre Président a affirmé que la francophonie devait être un lieu de « reconquête » (elle doit être « fémininiste » mais aussi ouverte au plurilinguisme). Partagez-vous ce point de vue ?

Ce point de vue est celui d’un homme eurocentré ne comprenant pas les enjeux liés à la francophonie. Une grande partie des locuteurs du français parlent déjà plusieurs langues, le plurilinguisme est donc, de fait, déjà présent au sein de l’espace francophone. Il faut l’encourager tout en promouvant l’usage du français. Pour ce qui est de la “reconquête”, Emmanuel Macron est adepte d’un vocabulaire martial creux cachant son manque d’action concrète. 

Nous souhaitons l’émergence d’une véritable communauté politique francophone, non alignée, à la fois souveraine, altermondialiste et solidaire. Pour ce faire, les missions de l’OIF doivent être élargies, en concertation avec les États membres. Elle doit pouvoir prendre position sur les grands dossiers internationaux, et en particulier sur la lutte contre le changement climatique, l’énergie, les migrations. La langue française est le ciment de ce projet, d’où la nécessité de défendre son usage et de la promouvoir. 

Depuis 2017, Emmanuel Macron a mis en place des initiatives pour renforcer la francophonie (programme APPRENDRE, dictionnaire des francophones, plateforme franceducation.fr, etc.) Quel bilan faites-vous de ce quinquennat sur ce sujet ?

Tout en prétendant faire de la francophonie une priorité (discours du 20 mars 2018), le président Macron a en réalité abandonné toute ambition, en allant jusqu’à supprimer le ministère délégué à la francophonie. Remplacé pour la galerie par la romancière Leïla Slimani, promue représentante personnelle d’Emmanuel Macron pour la francophonie.

Pire, la mise en place du dispositif « Bienvenue en France » multipliant par dix les frais d’inscription pour les étudiants non issus de l’Union européenne a mis un coup d’arrêt aux échanges universitaires avec le continent africain et plus particulièrement l’Afrique francophone. Dès 2019 les candidatures africaines avaient baissé de 30 à 50 %, selon la Conférence des présidents d’Université. Alors que ces étudiants forment le creuset des futurs échanges commerciaux, culturels et diplomatiques entre notre pays et l’espace francophone.

On peut également évoquer le limogeage de Kako Nubukpo de l’Organisation Internationale de la Francophonie, traduisant une manipulation de cette institution pour maintenir une relation asymétrique vis-à-vis de l’Afrique de l’Ouest.

L’un des rares projets annoncés par le président en 2018, à savoir les travaux de restauration du château de Villers-Cotterêts, et sa transformation en une Cité internationale de la Langue française, n’est toujours pas achevé, encore moins inauguré quatre ans plus tard.

Régression, élitisme, court-termisme, voici comment nous pouvons résumer le bilan d’Emmanuel Macron.

Bien que le français soit la troisième langue la plus parlée au monde, l’anglais semble s’immiscer toujours davantage dans les institutions et dans l’administration. Quelle est votre prise de position en ce qui concerne la défense de la francophonie sur ces sujets ?

Depuis le début des années 90, le français n’a fait que reculer dans les institutions internationales et s’implante de plus en plus dans nos administrations nationales. Cela n’est plus possible. La langue de la République est le français, rappelle notre Constitution. Disposer d’une langue commune est une condition démocratique fondamentale, qui permet l’exercice de droits égaux sur l’ensemble du territoire et une compréhension identique de la parole publique.

Nous exigerons l’utilisation du français dans les institutions internationales où il est l’une des langues officielles, en premier lieu dans l’Union européenne – afin que les citoyennes et citoyens soient en mesure d’en lire les textes et relevés de décision, sans lesquels il n’y a pas de responsabilité politique ! Nous imposerons autant que possible son inscription comme langue officielle lors de la création de nouvelles institutions, à contrario du nouveau parquet européen qui a pour seule langue de travail l’anglais, alors que plus aucun État membre n’a déclaré cette langue comme langue officielle.

Nous renforcerons les moyens de traduction, notamment dans les institutions européennes, et veillerons à créer un corps de traducteurs francophones, afin de permettre aux élus et aux travailleurs de travailler dans leur langue maternelle à chaque instant. L’utilisation de l’anglais et des anglicismes doit être une solution de dernier recours et non une habitude. En effet, elle conduit à appauvrir le débat politique et à faire disparaître certains concepts intraduisibles. L’hégémonie d’une langue entraîne aussi l’hégémonie de certaines idées.

Tous les fonctionnaires français, internationaux ou non, auront instruction ferme de faire respecter ce droit.

Nous souhaitons également mettre en œuvre une stratégie, en lien avec les États membres de l’OIF, d’occupation des postes-clés par des francophones dans les organisations internationales.

Au niveau national, nous renforcerons les dispositions de la loi Toubon et donnerons les moyens humains et financiers pour l’appliquer aussi bien dans la sphère publique que privée. 

Quelle stratégie adopteriez-vous en ce qui concerne l’usage des langues régionales (basque, breton, catalan, occitan, créole, etc.) afin de les protéger d’une éventuelle disparition ?

Le multilinguisme est une forme de résistance à l’uniformisation de l’humanité. L’apprentissage et la pratique de plusieurs langues sont utiles pour mieux appréhender, et de différentes façons, le monde qui nous entoure. Aujourd’hui, la principale menace est l’hégémonie de l’anglais sur les autres langues. Il est nécessaire d’encourager et de donner la possibilité aux jeunes de ce pays, tout en laissant le libre choix, d’apprendre et de pratiquer des langues vivantes autres que l’anglais dans le système éducatif – parmi elles, les langues régionales. Des moyens humains et financiers seront mis en place pour encourager et concrétiser le multilinguisme dans chaque établissement scolaire et cela tout au long de la scolarité. 

L’article 75-1 de la Constitution indique que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Comme tout patrimoine, il est nécessaire de l’entretenir et de le protéger afin qu’il puisse être transmis de génération en génération. Les langues vivantes perdurent grâce à leurs locuteurs. Cela passe donc principalement par l’enseignement, scolaire et au long de la vie. 

Valérie Pécresse a affirmé être contre l’usage de l’écriture inclusive. Partagez-vous sa prise de position ?

L’écriture inclusive n’existe pas. Évoque-t-elle la convention typographique des points médians ? Les formules épicènes ? L’accord de proximité, employé par Ronsard ou Corneille à titre d’exemple ? En quatre siècles, la langue française s’est dé-inclusivée !

Être “contre l’usage de l’écriture inclusive” représente donc une pétition de principe qui trahit l’ignorance littéraire de la locutrice. Mais plus globalement, une langue appartient à ses locuteurs et évolue à travers le temps. Quoi qu’elle puisse en penser, on ne maîtrise pas l’évolution d’une langue et personne n’oblige à utiliser cette typographie. Les normes grammaticales sont toujours en retard sur les usages. Si ce type d’écriture permet de contrer l’invisibilisation des femmes et de permettre à des personnes de mieux s’approprier leur langue, alors elle est utile. Néanmoins, nous comprenons les problèmes que cela peut poser, notamment pour les personnes en situation de handicap ou les personnes dyslexiques et dysorthographiques. C’est pour cela qu’il faut généraliser des méthodes d’expression comme le FALC (Facile À Lire et à Comprendre) et permettre à toutes les personnes d’avoir accès à l’information quelles que soient leurs difficultés. 

Dans le domaine de l’éducation, quelle place voudriez-vous accorder à l’enseignement du français ? Mais aussi des langues régionales, et des langues anciennes telles que le latin et le grec ?

Nous avons pour ambition de permettre à chaque élève l’accès à un large choix de langues étrangères, régionales (en fonction des académies) et anciennes dans les établissements publics. Nous mettrons les ressources financières et humaines nécessaires pour parvenir à ce but afin de garantir le libre choix d’apprentissage des langues et mettre fin à l’hégémonie de l’anglais dans ce domaine.

Concernant l’apprentissage du français, il doit évidemment avoir une place importante. 7% de la population française scolarisée en France est en situation d’illettrisme, avec de grandes disparités en fonction des départements. La moitié vit en zone rurale ou faiblement peuplée. Cela représente une véritable vulnérabilité pour ces personnes qui sont de fait dépendantes des autres, quasiment à chaque instant de leur vie quotidienne. Nous devons atteindre le 100% de personnes sachant lire et écrire à la sortie de leur cursus scolaire et mettre les moyens nécessaires à cela.