Tout au long de la campagne, de nombreuses organisations (associations, syndicats, collectifs, etc) sollicitent Jean-Luc Mélenchon pour qu’il détaille ses propositions sur des enjeux qui les concernent. L’équipe du programme et les groupes thématiques répondent, pour chacune de ces demandes, en développant des points précis de notre programme l’Avenir en commun.

Ce questionnaire a été préparé par l’Institut Open Diplomacy, en partenariat avec la Fondation Jean Jaurès et l’Institut Montaigne et avec le soutien de Focus 2030. 

Ce questionnaire a été préparé par l’Institut Open Diplomacy, en partenariat avec la Fondation Jean Jaurès et l’Institut Montaigne et avec le soutien de Focus 2030.

INFLUENCE FRANÇAISE ET RAPPORTS DE FORCES GÉOPOLITIQUES

Une « crise du multilatéralisme » existe : rapports de force qui stérilisent les institutions internationales, blocages pour résoudre les grands problèmes transnationaux, institutions en perte de légitimité, efficacité limitée souvent par manque de ressources… quelle stratégie la France doit-elle porter pour répondre à cette crise protéiforme et défendre ses intérêts dans ce contexte ?

Le programme de Jean-Luc Mélenchon et de l’Union populaire en matière de relations internationales et de défense est synthétisé dans deux livrets à consulter en ligne :

La France a intérêt au retour d’institutions internationales fortes au service d’un monde ordonné. Elle dispose des atouts pour peser en ce sens. À condition de redonner une signification universelle au « multilatéralisme », dévoyé de tous côtés. Comment s’en prétendre le garant quand on s’est affranchi du droit international comme lors d’une invasion de l’Irak aux conséquences toujours incommensurables ? Ou quand on a détourné en Libye le mandat de protection des populations, initialement accepté par la Chine et la Russie à l’ONU, pour aboutir à un renversement de régime ? Et pourquoi devrait-on accepter que ces précédents excusent les coups de forces inacceptables comme celui de la Russie en Ukraine ? En toute occasion, la France doit œuvrer au service de la paix. Son efficacité est fonction de son indépendance de vue et d’action. L’AEC propose donc une diplomatie non-alignée qui œuvrera au renforcement de l’ONU, contre le dévoiement du multilatéralisme par tel ou tel ou la prolifération des clubs comme le G7/8 ou le G20.

L’ordre international, créé par la Charte de San Francisco en 1945 qui fonde les Nations unies, est établi sur des valeurs démocratiques. Pourtant, les droits humains sont bafoués dans un nombre croissant de pays, certaines démocraties sont devenues « illibérales » et certains régimes autoritaires n’hésitent plus à s’affirmer comme tel sur la scène internationale. Les valeurs revendiquées par la France dans sa politique étrangère rencontrent une adversité majeure. Quelles mesures composeront votre politique internationale pour défendre et promouvoir l’État de droit et les libertés fondamentales ?

On n’est pas crédible quand on brandit les droits humains ici ou là en omettant, par exemple, les monarchies du Golfe, ou en participant à une « alliance des démocraties » qui vise la reformation d’un « bloc » derrière les USA. Les droits humains ne sont pas des « valeurs occidentales » manipulables à des fins géopolitiques. Ce sont des principes universels sur lesquels peuvent s’appuyer les peuples, via des luttes nationales que toute ingérence extérieure motivée par des considérations géopolitiques affaiblit. Pratiquons l’exemplarité. La voix de la France est affaiblie quand la répression des gilets jaunes est dénoncée par l’ONU, quand elle ne respecte pas ses engagements sur le droit d’asile, quand elle tolère une politique migratoire européenne qui fait de la Méditerranée un cimetière. Nous garantirons pleinement le droit d’asile, entre autres aux combattants de la liberté comme Assange, et prendrons en charge les personnes migrantes conformément aux engagements internationaux de la France.

Les relations internationales contemporaines sont structurées par un nouveau champ de force : une rivalité sino-américaine qui n’a jamais été aussi tendue ; et parallèlement, une volonté de la Russie de ré-imposer une confrontation avec les Etats-Unis, y compris par une alliance avec la Chine. Dans ce contexte, quels sont les grands axes de votre stratégie de politique internationale pour la France ?

Les États-Unis veulent au moins autant la confrontation que la Chine et la Russie. En pleine crise d’hégémonie, ils pensent avoir intérêt aux tensions car leur puissance repose d’abord désormais sur la domination du dollar et leur suprématie militaire. Mais, à force de sanctionner et menacer tour à tour Chine et Russie, ils ont encouragé un rapprochement qui était loin d’être acquis. Cet esprit de confrontation entre grandes puissances nuit à l’intérêt général de l’humanité. L’heure est à des coopérations exigeantes face aux défis du changement climatique, aux pandémies, au surarmement, à l’épuisement des ressources etc. Seule une diplomatie non alignée redonnera sa pleine portée à la voix de la France. Il ne s’agit pas de s’isoler mais de choisir les termes de notre interdépendance avec le monde. Cette direction est dictée par l’idée que l’urgence pour la civilisation humaine est écologique et sociale, et non militaire. Même si, dans ce monde instable, il n’est évidemment pas question de renoncer aux moyens de notre indépendance militaire.

Qu’est-ce que cela induit pour la relation avec les États-Unis d’Amérique ?

Les Étars-Unis d’Amerique peinent à concevoir une alliance autrement que sur le mode de la vassalité. Le rachat d’Alstom via des manœuvres troubles, l’affaire AUKUS, les écoutes de hauts-dirigeants français, les sanctions tous azimuts pouvant impacter des acteurs français etc., rappellent que la communauté de valeurs et d’intérêts de la « famille » atlantiste et/ou occidentale est un mythe. Il convient d’en tirer les conclusions, en sortant la France de l’alignement sur des intérêts et une vision du monde qui ne lui correspondent pas. Ceci n’implique pas de faire des États-Unis des adversaires. Ils resteront, à horizon visible, une puissance incontournable pour le règlement collectif des nombreux défis mondiaux. Toute proposition de leur part allant dans le sens d’un règlement des défis collectifs auxquels nous faisons face recevra notre soutien.

Qu’est-ce que cela induit pour la relation avec la Chine ?

La Chine n’est pas une menace militaire pour la France. Il faut donc cesser de suivre les USA dans leur vision de la zone indopacifique, dont l’affaire AUKUS a dévoilé toute la signification. Sur le plan économique, la situation est différente. Si nous voulons procéder à la réindustrialisation de la France au service de la planification écologique, de l’indépendance sanitaire, informatique etc., il est évident que les relations avec la Chine doivent être modifiées. C’est le sens du protectionnisme solidaire, écologique et social, que prévoit l’Avenir en commun. Nous entretiendrons donc avec la Chine des relations normales d’État à État, sans rien renier de nos principes et des intérêts de la France. Et, comme s’agissant des États-Unis, nous soutiendrons toute proposition de la Chine allant dans le sens d’une réponse aux défis mondiaux auxquels nous faisons face.

Qu’est ce que cela induit pour la relation avec la Russie ?

La Russie vient d’opérer un coup de force inacceptable. Qu’il ait été précédé depuis 30 ans d’une expansion menaçante de l’OTAN n’enlève rien à la responsabilité russe dans l’escalade. Outre les propositions plus bas (1.4.4), nous devons sortir du balancier entre dialogue naïf avec Poutine et coups de menton sans suite, l’affrontement militaire entre puissances nucléaires n’étant pas concevable, et les sanctions étant inefficaces. La France ne doit pas rester enlisée dans une « diplomatie » européenne et atlantiste incapable de faire du continent autre chose qu’une variable d’ajustement dans l’affrontement entre grandes puissances. En toute hypothèse, il est urgent de reprendre des initiatives indépendantes pour la paix, comme celle qui avait mené la France et l’Allemagne à œuvrer aux Accords de Minsk dans le cadre du format « Normandie ». L’échec de ces derniers n’invalide pas la méthode. Enfin, il faut rappeler que la marginalisation progressive de l’OSCE aura été une erreur et qu’il est encore temps de réinvestir ce forum.

Plusieurs crises géopolitiques dans notre environnement proche vont occuper directement le ou la prochain(e) président(e) de la République : au Sahel, au Levant et en Europe orientale. Au-delà de ces grands points chauds, qui font l’objet de questions spécifiques ci-après, quel est pour vous le principal point de vigilance stratégique que la France doit traiter durant le prochain quinquennat ?

La mondialisation néolibérale favorise désindustrialisation, crise écologique, pandémies, chômage, émigration forcée etc. Articulée à la mise en place d’un protectionnisme écologique et solidaire, notre diplomatie altermondialiste portera des propositions pour rompre avec la compétition mortifère de tous contre tous, notamment via l’extension des protections du droit international aux biens communs, qui doivent échapper au marché. Parmi les nombreuses mesures portées dans l’Avenir en commun, citons l’appui aux négociations à l’ONU pour un Traité contraignant les multinationales à respecter des normes sociales et environnementales ; la mise en œuvre de mécanismes de résolution collective des dettes d’États ; la levée automatique des brevets sur les vaccins permettant de lutter contre les pandémies comme celle du Covid ; la reconnaissance du crime d’écocide ; la protection de l’eau et de son accès pour tous comme enjeu prioritaire ; l’adoption d’un traité de protection des grands fonds marins etc.

En particulier : quelle est votre approche de la situation au Sahel, en particulier compte tenu de récents changements de régimes (ex : Mali), et de ses conséquences sur les opérations militaires menées par la France dans la région ?

Notre armée n’a pas démérité, et il faut rendre hommage aux soldats morts au Sahel. Mais, dès 2013, Jean-Luc Mélenchon rappelait qu’aucune victoire n’était possible sans objectifs politiques clairs, car la guerre sans fin ne peut être un objectif. Les succès ne se mesurent pas au nombre de chefs islamistes tués mais à celui d’écoles, de dispensaires, de postes de sécurités etc., réouverts dans les zones auparavant hors de contrôle étatique. Tirons les enseignements de cet échec, qui n’est pas le fait de notre armée mais de l’absence d’agenda politique cohérent. Nous réviserons les accords de défense passés dans la région, pour qu’ils soient conclus dans l’intérêt des peuples souverains, et proposerons une approche globale pour rétablir la sécurité dans toutes ses dimensions. L’ensemble sera soumis au Parlement, dont l’exclusion de la décision est inacceptable.

En particulier : quelle est votre politique s’agissant du Levant compte tenu de la situation en Syrie et au Liban et des rapports de force qui structurent la zone ?

Le Proche-Orient est le théâtre de crises multiples difficilement résumables en 800 signes… La France doit cesser d’y aligner sa diplomatie sur les monarchies du Golfe, et en finir avec les indignations sélectives. On ne peut dénoncer le martyre des Syriens et fermer les yeux sur celui des Yéménites. Nous devons réorienter notre action dans toutes les directions permettant de supprimer les causes de la résurgence de Daesh. Cela passe, entre autres, par le soutien aux forces kurdes du Rojava, et par une prise en compte des aspirations citoyennes exprimées en Irak, au Liban etc. Au Liban, où la société est victime de l’alliance d’un système clanique avec le capitalisme financiarisé, nous devons aider à répondre aux besoins de base comme l’accès aux services publiques élémentaires. Il faut reconnaître la Palestine et réaffirmer la légalité internationale.

En particulier : quelle est votre politique concernant l’Europe orientale, les risques militaires qui concernent non-seulement l’Ukraine, mais également les menaces qui pèsent sur nombreux de nos alliés ?

La situation en Ukraine nous appelle à réaffirmer l’intangibilité des frontières, sauf accord concerté et contrôlé entre les parties. Cette crise appelle deux réponses. La première est que la France redevienne un médiateur crédible aux yeux de tous. La seconde est une conférence permettant de gérer avant la crise les situations de tensions frontalières. Notamment à l’Est, où l’implosion de l’URSS a vu un empire s’effondrer sans négociation. À défaut, l’épreuve de force géopolitique brute aggravera la réduction du continent européen à une variable d’ajustement dans le jeu des puissances. Nous n’y avons aucun intérêt. Mais gardons nous de l’illusion selon laquelle une Europe de la défense arrimée à l’OTAN, et ne reposant sur aucune entité porteuse d’intérêts communs et d’une vision géopolitique cohérente, serait ici la solution.

Dans ce contexte, quelle politique souhaitez-vous adopter vis-à-vis de l’OTAN ?

L’OTAN avait vocation à disparaître à la fin de la Guerre froide. Elle n’a au contraire cessé depuis de justifier son existence, en exacerbant par là-même les tensions. Les dépenses militaires cumulées des membres de l’OTAN représentent plus de la moitié des dépenses militaires mondiales. L’OTAN regroupe des membres dont la France ne partage pas les intérêts et vision du monde. Le retour en 2009 dans le commandement intégré a été une erreur qui a précipité la fin d’une diplomatie non-alignée qui avait vu l’influence de la France progresser. Notre pays a les moyens de sa défense. Et son inscription dans une alliance militaire permanente va à l’encontre des dynamiques du monde actuel, dans lequel les logiques de bloc ont encore moins de sens que lors de la Guerre Froide. L’Avenir en commun prévoit donc la sortie de l’OTAN.

CONTRIBUTION FRANÇAISE À LA SOLIDARITÉ INTERNATIONALE

Quels seront les grands axes de votre stratégie sanitaire internationale alors que la pandémie de COVID 19 fait encore rage et que seulement la moitié de la population mondiale est vaccinée (moins de 10 % dans les pays en voie de développement) ? Quelle voie de coopération internationale emprunter pour éradiquer le virus s’agissant des vaccins, des tests et des traitements à l’échelle internationale ?

Depuis le début de l’épidémie, nous avons choisi de mettre nos pas dans ceux de l’Organisation mondiale de la santé. C’est vrai à l’intérieur et à l’extérieur. Jean-Luc Mélenchon a pris très tôt position en faveur de la levée des brevets des vaccins, aux côtés de personnalités comme l’ancien président du Brésil Lula. La levée des brevets aurait évité de dépendre d’une stratégie de dons peu efficace et qui maintient les États récipiendaires dans la dépendance. Elle aurait permis l’amplification de la production et bien sûr l’abaissement des coûts. Il n’est pas vrai que les capacités de production n’existeraient pas en dehors de quelques rares pays. Par ailleurs, le développement des traitements est en train de changer la donne. Il se pourrait qu’à moyen terme, la vaccination ne soit plus le premier instrument de la lutte contre l’épidémie. La question se pose alors de garantir la distribution à un prix modique de ces produits.

Comment capitaliser sur les initiatives prises durant la crise de la COVID pour développer des capacités d’anticipation et de réponse rapide aux pandémies ?

Plusieurs questions ont été soulevées par l’épidémie. La préparation sur le territoire national était défaillante. Nous devons durablement garantir des capacités de surveillance et de vigilance suffisantes, notamment dans le séquençage, pour réagir rapidement. Face à une crise d’ampleur, la première ressource d’un pays comme la France est dans sa population : formée, éclairée, disponible pour l’action et la solidarité. Il faut capitaliser là-dessus. Nous devons réinvestir dans la recherche fondamentale déconnectée d’appels à projet qui marchandisent la science pour être en capacité d’apporter une réponse scientifique de haut niveau. La proposition de conscription citoyenne que je fais va aussi dans ce sens : créer les cadres où employer la bonne volonté et assurer la résilience. Un autre problème porte sur la transparence et la communication. Les rumeurs prolifèrent lorsque les paramètres de la décision publique, nationale et internationale, ne sont pas clairement formulés. Cela pose aussi la question du mode de financement de l’OMS et de l’intrication des intérêts privés et de l’intérêt général.

Plus généralement, comment pérenniser le financement des grands fonds de solidarité internationale en matière de santé ?

D’une manière générale, il faut défendre le principe élémentaire d’une contribution progressive des États en fonction de leur niveau de richesse. Les gros payent gros, les petits payent petit : ce que nous défendons au niveau d’un État est pertinent à l’échelle internationale. Il fait bien sûr remettre le privé à sa place. Le mécénat, ce sont des impôts sur lesquels la collectivité n’a pas son mot à dire. C’est un levier de puissance cynique et en réalité anti-démocratique. Il ne faut pas avoir peur d’être « classique » : le bien public doit être financé par l’argent public sous le contrôle du public. Le raffinement financier ici comme ailleurs est plus suspect qu’autre chose.

Et quelle stratégie internationale souhaitez-vous adopter pour garantir un renforcement durable des systèmes de santé et atteindre une couverture sanitaire universelle ?

Il faut faire preuve d’humilité. On ne construit pas un État de l’extérieur, ni même un système de santé. Il y a des choses qui peuvent être faites pour aider néanmoins. La priorité bien connue est l’hygiène et l’accès à l’eau potable. Cette question de l’eau sera le point décisif pour l’humanité dans les prochaines décennies. Nous allons y consacrer beaucoup de notre énergie. Nous proposerons également de travailler à une planification sanitaire grâce à nos moyens spatiaux. L’observation de l’environnement permet par exemple d’anticiper le déplacement d’animaux porteurs de maladie. L’UNOSAT est une agence de l’ONU qui fournit de l’imagerie spatiale pour faire face aux catastrophes. Nous proposerons d’élargir sa compétence à ces questions de santé.

La France s’est dotée d’une feuille de route pour atteindre l’objectif de 0,7 % du RNB dédié à l’aide publique au développement (APD) d’ici 2025. Une réforme stratégique de l’APD est en cours visant à moderniser les instruments de coopération. Quelles priorités politiques aimeriez-vous donner à cette réforme ?

Nous transformerons « l’aide publique au développement » (APD) apportée par l’Agence française de développement (AFD). Consacrer 0,7% du revenu national brut à l’aide publique au développement est nécessaire, mais insuffisant. Cet objectif ne doit pas être atteint à l’aide d’artifices comptables, et l’APD ne doit plus servir les intérêts des régimes oligarchiques et des multinationales. Nous déciderons de son allocation avec les sociétés civiles sur place, dans un objectif de renforcement des droits humains et des souverainetés populaires, et non de mise en dépendance néocoloniale.

Nous dénoncerons les accords commerciaux inégaux entre l’Union européenne et l’Afrique, qui détruisent les agricultures vivrières, et les accords de pêche communautaires, qui détruisent la pêche artisanale.

Nous réintégrerons au sein du ministère des Affaires étrangères les moyens humains et matériels de la coopération technique, scientifique et culturelle, massivement transférés à l’AFD.

Si vous étiez président(e) de la République, quels seraient les pays prioritaires de l’aide publique au développement française ? Pourquoi et comment effectuer le changement par rapport à l’existant et s’assurer de l’effectivité de ces priorités ?

Il y a plusieurs critères qui doivent entrer en jeu. Premièrement, la demande existe-t-elle réellement et l’aide arrivera-t-elle à destination ? Il est clair que l’aide publique au développement est devenue un instrument d’influence, à utiliser avec parcimonie. On sait d’ailleurs des pays qui se trouvent fort bien d’être oubliés de l’aide internationale. Deuxième critère, l’aide sera-t-elle efficace ? Il s’agit d’en finir avec le saupoudrage. Outre l’aide d’urgence, il faut investir massivement quelques chantiers et produire des résultats à moyen terme. Le troisième critère est bien sûr la proximité réelle que nous entretenons avec les pays qui demanderaient notre aide. La francophonie est pour nous un espace privilégié. Attention toutefois : il ne faut absolument pas enfermer la coopération dans cette situation d’aide.

Comment articulez-vous cette stratégie d’aide au développement avec des mesures d’ordre macroéconomique sur la dette de nos pays partenaires et sur les actions que peut mener le fonds monétaire international (par ex : émission de DTS) ?

La dette est un instrument utilisé pour faire plier les peuples et leurs gouvernements. Des années après les alertes du dirigeant burkinabè Thomas Sankara, la crise de 2008 et ses suites en Europe nous ont montré que c’était également le cas chez nous. C’est une leçon impossible à oublier. N’oublions pas non plus quels désastres ont produit les réformes structurelles des années 1990 et 2000 voulues par le FMI. La guerre au Mali y trouve en partie son origine. Il est indispensable d’en finir avec le libre-échange qui tue les agricultures locales et empêche le développement de l’industrie. Pour le reste, il s’agit de donner la parole aux peuples eux-mêmes et de partir de leurs besoins.

Comptez-vous poursuivre la « diplomatie féministe » lancée par la France au G7 de Biarritz (2019) et poursuivie lors du Forum Génération Egalité (2021) ? Si oui, par quelles mesures ? Si non, pourquoi ?

Le programme que nous défendons est féministe. Il promeut l’égalité réelle entre les hommes et les femmes. Cette égalité, nous ne cesserons pas de la défendre dans notre action diplomatique. Cela impliquera nécessairement une diplomatie de défense des plus vulnérables, une diplomatie altermondialiste en rupture avec le capitalisme. L’égalité conditionnera la participation de la France à telle ou telle action d’aide ou de coopération. Toute stratégie qui accepterait d’occulter les droits et l’existence de la moitié de l’humanité ne peut qu’être vouée à échouer. Rappelons qu’il reste beaucoup à faire en France, mais aussi dans d’autres pays qui n’ont pas besoin d’aide économique. Le Japon est par exemple un très mauvais élève en la matière. Mettre un tel sujet sur la table face à un pays puissant demandera de sortir des schémas diplomatiques traditionnels.

Dans le domaine de la diplomatie féministe, quelle place accorderez vous à la question des droits et de la santé sexuels et reproductifs (DSSR) qui a été la priorité française lors du Forum Génération Egalité co-présidé par la France et le Mexique sous l’égide d’ONU Femmes ?

Il faut traiter tous les sujets, mais veiller encore une fois à éviter le paternalisme. Il y a des droits fondamentaux sur lesquels nul ne doit transiger. Aucune tradition ne peut être alléguée pour les bafouer. Pour le reste, les individus, les peuples et les États doivent pouvoir librement choisir leur voie. Cela suppose d’avoir réellement accès aux moyens d’information, de contraception, de prévention et de traitement des infections. Encore une fois, les logiques marchandes sont en complète contradiction avec ces besoins. Il sera indispensable d’assumer clairement une rupture et de proposer une voie alternative.

STRATÉGIE FACE AUX RUPTURES INTERNATIONALES CAUSÉES PAR LA CRISE ENVIRONNEMENTALE

La diplomatie environnementale joue un rôle essentiel pour obtenir des résultats dans la lutte contre la crise climatique et l’effondrement de la biodiversité. Quelles seraient vos priorités principales en la matière ?

L’intérêt général humain est une réalité devenue parfaitement tangible avec la crise écologique. La conception française de la République, centrée autour de cet intérêt général, est adaptée à cette réalité. Elle nous donne une capacité de convaincre particulière et donc une grande responsabilité. La première chose est d’être exemplaire. Respectons nos propres engagements. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. La deuxième est d’être partageur. La France doit développer des savoirs et les mettre à disposition du monde. Notre puissance est là. Il faut travailler à la protection des biens communs, à la reconnaissance internationale de l’écocide. Nous mettrons en place une coopération pour le sauvetage de la Méditerranée, investirons massivement dans la découverte et la protection des fonds marins. Nous devons mettre en place les compensations financières indispensables à la non-exploitation de certaines ressources. Nous devons créer une force internationale humanitaire de prévention et de lutte contre les catastrophes écologiques.

Comment engageriez-vous les grands émetteurs – en particulier l’Inde et la Chine – à prendre des engagements concrets et ambitieux pour leur transition énergétique afin de faire décroitre substantiellement les émissions de gaz à effet de serre ?

Rien ne peut remplacer l’exemplarité et la force de conviction. Il y a des intérêts matériels qui ne pourront pas tout acheter. Nos interlocuteurs sont aussi rationnels que nous. Par ailleurs, notre responsabilité est aussi d’adopter un modèle de développement économique soutenable. Les grands émetteurs le sont aussi parce qu’ils sont, dans la mondialisation actuelle, les ateliers d’un monde marchand fondé sur le consumérisme, l’accumulation et l’obsolescence programmée. Dès lors, la question n’est pas la responsabilité de tel ou tel État, mais bien d’engager nos partenaires sur la voie d’une remise en question des logiques mêmes du capitalisme financier.

Par ailleurs, quelles mesures proposeriez-vous pour donner l’assurance aux Français que les contributions nationalement déterminées pour la réalisation de l’Accord de Paris sur le Climat soit à la hauteur des enjeux ? et soient effectivement mises en œuvre ?

Les engagements que prennent les États devraient bien sûr être contraignants. Nous soutenons la création d’un tribunal international de justice climatique et environnementale, comme proposé par la Bolivie et de nombreuses organisations altermondialistes, ainsi que le projet de traité contraignant les multinationales à respecter les droits humains et l’environnement, proposé par l’Équateur et de l’Afrique du Sud. Les gouvernements français de François Hollande et d’Emmanuel Macron se sont alignés sur l’Union européenne dans une stratégie visant à ralentir puis à diminuer les ambitions du traité. On comprend pourquoi : la France, déjà, serait pénalisée. La justice française a reconnu que le gouvernement était coupable d’inaction climatique.

Quelles mesures diplomatiques prendriez-vous en particulier pour aider les Etats les plus vulnérables face à la crise climatique ?

L’expression « États les plus vulnérables » est en soi ambigüe. Pour certains d’entre eux, les États insulaires, c’est leur existence même qui est compromise. Voilà à quelle extrémité nous conduit l’aveuglement climatique des dirigeants mondiaux depuis des décennies. Il faudra faire face et se montrer solidaires, bien sûr, même s’il faut regarder la réalité en face : il est, dans certains cas, déjà trop tard. Pour d’autres, il est temps d’agir : l’entraide est la seule solution. Il faut partager les connaissances scientifiques et les moyens de faire face aux désastres à venir. Les pénuries d’eau, la baisse des rendements agricoles, les déplacements de population : tout cela obligera à des adaptations que l’on doit collectivement anticiper financièrement, techniquement et humainement. La France doit proposer les outils pour cela, dans le cadre de l’ONU et d’accords de coopération équilibrés.

Alors qu’aucun des objectifs d’Aichi n’a été atteint, quelle serait la position de votre gouvernement dans les négociations à venir de la COP 15 de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique présidée par la Chine ?

L’objectif du programme L’Avenir en commun est l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature. Cette notion d’harmonie figure aussi dans les objectifs d’Aichi. Ils sont pertinents et donnent une ligne de conduite. Comme pour ce qui est de l’accord de Paris, ces objectifs ne sont pas contraignants. La première chose à faire est de les intégrer dans notre propre politique. C’est ce que permet la planification écologique. Sans une stratégie concertée, il est impossible de transformer en profondeur notre système économique, aujourd’hui fondé sur la prédation de la nature. Nous assumons notre volonté d’en finir avec l’artificialisation des sols et la destruction des habitats naturels. Nous donnerons l’exemple et les moyens à ceux qui le veulent de se montrer à la hauteur. Mers, forêts, coraux : chaque fois qu’il sera possible de mettre en œuvre la protection de biens naturels communs, nous le ferons. Nous travaillerons à un traité d’interdiction de l’extraction des matières premières sous-marines.

Les dérèglements environnementaux vont provoquer des ruptures géopolitiques majeures – déplacements massifs de population, effondrement de structures étatiques complètes, nouveaux conflits sociaux ou inter-étatiques. Comment entendez-vous faire évoluer l’appareil d’Etat français (sur la direction des fonctions diplomatiques et militaires) pour anticiper et préparer ces risques aux conséquences graves et très difficiles à prévoir ?

La crise écologique est de nature à aggraver la plupart des tensions qui existent déjà dans le monde. On spécule beaucoup sur l’ampleur et la nature des phénomènes à venir. Ce qui est certain, c’est que le risque de voir se combiner des événements extrêmes et d’autres crises est très élevé. Cette hypothèse doit être dimensionnante pour notre appareil de défense et de sécurité. Elle sera une des clés du Livre blanc pour la défense que le président Jean-Luc Mélenchon commandera. À cet égard, il est certain que les Outre-mer prendront une importance toute particulière dans les prochaines années, et que l’organisation des moyens de la sécurité civile et de la défense devra suivre.

Les besoins sont matériels et humains. Les équipements de transports sont sans doute trop peu nombreux. Le nombre des personnes mobilisables est aussi trop bas et la conscription citoyenne sera un levier pour répondre au besoin.

Les dérèglements environnementaux provoquent de nouvelles crises sanitaires, épidémies, voire pandémies, du fait du risque fortement accru de zoonose et des conséquences plus violentes et fréquentes de la crise climatique ainsi que de la dégradation générale des écosystèmes. Comment comptez-vous engager la France auprès de l’OMS dans l’initiative « One Health » qui est clé pour traiter ces enjeux de santé environnementale ?

La France est déjà partie prenante de l’initiative « One Health » depuis plusieurs années, notamment via l’ANSES. La veille sanitaire et l’approche intégrée sont bien entendu indispensables pour faire face à l’émergence et au développement des épidémies. Il est cependant nécessaire de questionner les facteurs qui les suscitent et accélèrent leur propagation. Le responsable est ce modèle économique qui privilégie la maltraitance animale du fait de concentrations délirantes. C’est un système qui détruit les habitats naturels, produit de l’antibiorésistance, augmente le risque de passage de la maladie de l’animal à l’homme et déploie des voies de communication et d’export qui sont désormais des autoroutes de contagion. Sans remettre ce modèle en question, aucune initiative ne sera suffisante.