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« Comment porter au plus haut, pour la France et pour le monde incertain dont elle est enveloppée, les chances de la paix ? Et si, malgré son effort et sa volonté de paix, elle est attaquée, comment porter au plus haut les chances de salut, les moyens de la victoire ? »

Jean Jaurès, L’Armée nouvelle

Notre constat : Le bilan d’Emmanuel Macron : cinq ans d’opacité, d’alignement et d’aveuglement 

La défense est une politique du temps long. Dans ce domaine plus qu’ailleurs, les décisions prises par les prédécesseurs engagent et limitent la marge d’action des successeurs. L’inertie est nécessairement forte lorsque les programmes d’armement sont développés sur des décennies et que les conflits s’enlisent. En matière de défense, le quinquennat d’Emmanuel Macron est celui des faux-semblants et du temps perdu.

La loi de programmation militaire (LPM) qui a servi de cadre général à cette politique ne tranchait rien.

Elle s’appuie sur une « revue stratégique » rédigée dans la précipitation, qui consiste surtout en un catalogue de menaces, sans prendre en compte les changements géopolitiques advenus depuis le Livre blanc de 2008. Aucun bilan des opérations extérieures (OPEX) n’a été fait.

Conformément à ce qui allait être sa pratique autocratique, Emmanuel Macron a même exclu de la discussion la question de l’efficacité actuelle de la dissuasion nucléaire. Au fil du mandat, les décisions les plus importantes ont ainsi échappé à la discussion parlementaire : lancement des sous-marins de 3ème génération, création d’un commandement de l’espace, lancement d’un porte-avions de nouvelle génération (PANG), etc.

Constatant des ruptures technologiques évidentes, la revue stratégique n’interroge ni les objectifs ni le format des armées. Cinq ans plus tard, l’inanité de certains slogans apparaît de plus en plus clairement. Le « modèle d’armée complet », tant vanté dans les discours, n’est pas une réalité. Certaines capacités critiques sont maintenues de manière presque résiduelle. L’épidémie de Covid-19 a par exemple mis en évidence le peu de réserve du service de santé des armées (SSA) après des années d’austérité.

Des trous capacitaires sont déjà là ou en vue, notamment dans le domaine du renseignement et dans la Marine. La remontée en puissance que devait permettre la LPM a été en grande partie obérée par la hausse des crédits liés à la dissuasion nucléaire et par le financement des OPEX. Elle a surtout été très profitable aux industriels, au point que certain·es expert·es n’hésitent pas à parler de loi de programmation « de production ».

Emmanuel Macron n’a pas su finir la guerre au Mali. La position de la France dans ce conflit est plus précaire que jamais alors que la légalité de l’intervention française était déjà fragile. Sa légitimité a été sapée par le temps, par les manœuvres adverses et surtout par la gestion opaque et au jour le jour décidée par l’exécutif français. Les ressorts de cette débâcle lente sont connus de longue date et ont été analysés par les militaires eux-mêmes. En l’absence d’objectifs clairs, les sacrifices humains, les dépenses consenties et la succession des victoires tactiques remportées par nos armées ne pouvaient en aucun cas se traduire par une victoire stratégique.

Alors qu’Emmanuel Macron prétendait renouer avec le gaullo-mitterrandisme, sa politique de défense est totalement alignée sur les États-Unis. Elle s’est inscrite dans la continuité de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Quel meilleur symbole de cette continuité que le maintien de Jean-Yves Le Drian au portefeuille des Affaires étrangères ?

La timide tentative de secouer le statu quo à l’Otan a fait long feu d’une façon déshonorante. Constatant la « mort cérébrale » de l’organisation, Emmanuel Macron n’en a pourtant tiré aucune conséquence. Le torpillage par les États-Unis du partenariat entre la France et l’Australie n’a suscité aucune réaction sérieuse hormis une protestation symbolique et sans effet. De même l’accroissement des tensions en Méditerranée orientale n’a pas été de nature à faire douter de la cohérence et de la pertinence de l’Alliance.

Le projet « d’Europe de la défense », déjà chaudement défendu par François Hollande, n’aura été qu’une fable nuisible. Sur le plan des principes d’abord. La souveraineté appartenant au peuple, il devrait aller de soi que la défense est une prérogative qui ne peut être partagée au niveau de l’Union européenne. En effet, il n’existe pas un peuple européen mais des peuples européens, pas de Nation européenne mais des nations ayant chacune leur politique étrangère et de défense. L’idée « d’Europe de la défense » a donc des implications anti-démocratiques très claires.

D’un point de vue opérationnel, le bilan est également très problématique. Pour sauvegarder et renforcer un pseudo « couple franco-allemand » dont Berlin ne se soucie guère, Emmanuel Macron a tout cédé à l’Allemagne. Et les camouflets se sont succédé. La ministre de la Défense d’Angela Merkel, Annegret Kramp-Karrenbauer a par exemple signifié crûment que l’objectif « d’autonomie stratégique » européenne constamment affiché par Emmanuel Macron était une « illusion ». Depuis, le changement de majorité au Bundestag n’a pas changé la donne. Les grands programmes industriels menés en coopération le sont au détriment de la France. Le programme d’avion du futur (SCAF) n’est pas mené entre égaux et les savoir-faire français sont mis en partage à des conditions qui ne sont pas satisfaisantes. Le programme de char du futur (MGCS) est une aubaine pour l’industrie métallurgique allemande. Alors que seul KNDS aurait dû profiter de ce contrat, les Allemands ont réussi à imposer la participation de Rheinmetall dans des conditions tout à fait injustes. Le programme d’avions de surveillance maritime (MAWS) a également été saboté par l’Allemagne, qui a pourtant fait croire durant des mois que le partenariat aboutirait. En toutes choses, la naïveté face à Berlin aura été la règle.

La politique industrielle a été dans la continuité des années Sarkozy-Hollande. Conséquence des privatisations des vingt dernières années, la logique marchande a prévalu sur la satisfaction des besoins domestiques. Elle a conduit à lier la France à des engagements inacceptables. Les exportations ont atteint des montants inédits mais dans des conditions qui humilient la France : les exportations en direction des pays engagés dans la guerre au Yémen sont contraires au Traité sur le commerce des armes (TCA). Les ventes d’armes à l’Égypte sont la contrepartie du silence de la France face aux crimes commis par le régime, y compris avec la complicité de la France. C’est notamment ce qu’ont montré les révélations du média d’investigation Disclose au sujet de l’opération Sirli et de l’installation de dispositifs de surveillance massive de la population. Ces opérations discréditent la France sur la scène internationale. Le soutien apporté au maréchal Haftar en Libye dans le sillage des Émirats et de l’Égypte a par exemple rendu inaudible l’argumentation française lorsque la Turquie a menacé la frégate Courbet cherchant à faire respecter l’embargo sur les armes.

Par ailleurs, la recherche permanente de clients conduit à faire des équipements de nos propres armées les variables d’ajustement des propositions commerciales. Les contrats sur le Rafale vont en particulier obliger à prélever sur les capacités nationales. De même, ces ventes « à tous les vents » ouvrent des brèches dans notre propre sécurité. Ainsi, les Rafale vendus au Qatar ont-ils fait l’objet d’une étude minutieuse par Ankara lorsque l’armée de l’air qatarie est allée s’entraîner en Turquie.

Enfin il faut noter que les cinq années de mandat d’Emmanuel Macron ont été marquées par une politisation des armées dont l’exécutif est un des principaux responsables. Cette tendance contrevient à la tradition républicaine qui fait primer l’autorité civile élue. Elle a été nourrie par l’habitude prise par les ministres de ne pas assumer leurs échecs et responsabilités pour les faire plutôt porter sur de grands subordonnés : l’incendie de la Perle et l’épidémie de Covid-19 au sein du Charles de Gaulle ayant conduit à son immobilisation sont deux illustrations nettes de cette méthode de transfert de responsabilité. D’autres moments ont aggravé ce glissement. Le congédiement du général de Villiers dans des conditions déshonorantes, l’utilisation récurrente du prestige des armées à des fins de communication, l’effacement de la ministre derrière le chef d’état-major afin de justifier les choix politiques, la tentation d’utiliser l’armée face aux Gilets jaunes, la gestion pour le moins désordonnée de la communication du ministère et des unités, tout a concouru à donner un plus grand poids politique aux armées. L’extrême-droite a également pris une grande part à ce phénomène auquel il faudra mettre fin.

Notre projet : Une France indépendante au service de la paix

L’analyse et les objectifs de la politique internationale de l’Union populaire font l’objet d’un livret à part. Notre projet pour la défense s’inscrit pleinement dans cette analyse. Il entre aussi profondément en résonance avec la proposition de fonder une 6e République dans laquelle les citoyennes et citoyens retrouveront toute leur place et leur capacité d’initiative.

Il convient tout de même d’apporter quelques éléments concernant spécifiquement le contexte international et les transformations de la conflictualité.

La mondialisation capitaliste est porteuse de menaces pour la France. Le principe de concurrence qu’elle place au cœur de toutes les relations fait croître les tensions entre États. Elle fait émerger des acteurs privés internationaux qui marginalisent la puissance publique ou la forcent à embrasser ses propres intérêts dans les conflits qui peuvent l’opposer à des rivaux.

La financiarisation place l’ordre international sous la menace d’une crise économique systémique.

La globalisation des échanges accroît également les vulnérabilités et les menaces en précipitant la crise écologique et en privant les États des moyens de leur indépendance. La pandémie de Covid-19 en a apporté une preuve irréfutable.

La crise écologique engendre des tensions à toutes les échelles : elle fait naître des conflits de voisinage pour l’utilisation des ressources aussi bien que des conflits à très grande échelle entre superpuissances pour l’appropriation de routes commerciales, de terres cultivables, de matières premières.

Ces grandes tendances sont le fond sur lequel se détache une réorganisation des relations internationales dominée par les États-Unis. Leur déclin face à la Chine est l’un des principaux risques pour la sécurité mondiale. La perspective d’une grande confrontation entre les géants est pensée (et sans doute voulue) par de nombreux décideurs étasuniens comme quasiment inéluctable. 

Dans ce contexte, la France ne saurait se laisser enfermer dans une conception « occidentaliste » de ses intérêts et de sa sécurité. Elle est présente sur tous les continents. Elle est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Son territoire maritime est le deuxième plus vaste au monde. Sa plus longue frontière maritime est avec l’Australie. Sa plus longue frontière terrestre est avec le Brésil. Son régime politique, la République, repose sur l’idée d’universalité des droits. Il est intrinsèquement universaliste et donc internationaliste. 

C’est pourquoi, il est plus que jamais indispensable que la France se donne d’urgence des marges de manœuvre et retrouve son indépendance. Disposer d’une pleine capacité d’appréciation, de décision et d’action est la condition minimale pour faire respecter les droits de notre peuple et promouvoir son point de vue sur la scène internationale.

C’est seulement ainsi que la France peut garantir ses propres intérêts et contribuer à l’intérêt général humain. En effet, en refusant tout alignement, elle se donne la possibilité d’être médiatrice et de construire des coalitions au service des grandes causes communes de l’humanité et du règlement pacifique des différends.

Nos propositions : Se donner les moyens de l’indépendance

Un nouveau Livre blanc

Un nouveau Livre Blanc sur la Défense nationale traduira dès 2022 les objectifs géopolitiques en doctrine de Défense. En tenant compte des principes visant à rendre à la France son indépendance et restaurer sa capacité à agir au service de la paix, ce nouveau Livre Blanc proposera un modèle global à décliner dans le cadre d’une nouvelle Loi de Programmation Militaire (LPM) dont l’adoption aurait lieu à l’automne 2023. Contrairement à la précédente, celle-ci ne sera pas déterminée a priori par un simple objectif financier (2 % du produit intérieur brut). Elle sera fondée sur une analyse fine des besoins et un projet clairement articulé.

Le livre blanc devra :

  • Tenir compte des transformations de la conflictualité tout en veillant à ne porter aucune atteinte aux libertés et aux principes de la vie démocratique. En effet, ces derniers mois, l’état-major a acté un changement conceptuel d’importance. En observant que les notions « crise – guerre – paix » ne décrivaient plus la réalité contemporaine et méritaient d’être remplacées par le triptyque « compétition – contestation – affrontement », il a bien vu la réalité de la guerre larvée contemporaine qui domine les relations internationales. Dans ce monde, l’économie est un champ de bataille. Les manœuvres autour de la vente d’Alstom l’ont montré. Nos amis sont en même temps des compétiteurs et des rivaux. Cet état de fait rend l’indépendance plus nécessaire que jamais. En revanche, il ne doit en aucun cas servir de justification à des atteintes progressives aux droits et libertés
  • Fournir un effort important dans le domaine du renseignement, en renforçant surtout les ressources humaines. Une attention particulière devra également être accordée à la prévention des menaces et des risques dans le domaine des risques nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques (NRBC)
  • Faire un bilan critique de l’engagement de nos forces armées ces vingt dernières années et prendre acte de l’inefficacité de la doctrine de la « guerre au terrorisme »
  • Proposer une nouvelle articulation entre protection du territoire et de la population et capacité à se projeter. En effet, le modèle expéditionnaire qui a prévalu ces vingt dernières années ne répond pas à l’objectif de protection de la souveraineté de notre pays sur la totalité de son territoire, en particulier de notre domaine maritime. À ce sujet, la décision de lancer le programme de construction d’un porte-avions de nouvelle génération a été prise par Emmanuel Macron sans débat démocratique et pour maintenir le statu quo. Le livre blanc ouvrira ce débat
  • Poser les bases intellectuelles indispensables à l’organisation d’une armée de l’après-pétrole. Ce sujet est primordial. Il exigera des investissements très importants et des transformations de longue durée
  • Tirer toutes les conséquences de la crise climatique et environnementale, de l’accroissement des rivalités pour les matières premières, la terre et l’eau. Si la France doit engager un effort sans précédent pour réduire son impact sur le changement climatique, il va de soi que de nombreuses infrastructures de la défense devront également être adaptées
  • Permettre un renouvellement doctrinal intégrant les grandes ruptures technologiques intervenues depuis vingt ans et dont la fréquence s’accélère encore. À cet égard, il conviendra de se méfier de tout « solutionnisme technologique ». Au-delà de la nécessaire prospective sur les moyens, c’est davantage encore une réflexion sur les usages qui sera nécessaire. Concentrée sur les caractéristiques techniques de l’outil, la réflexion ne peut occulter la question de son emploi. On peut en donner deux exemples bien connus. En 1940, c’est davantage un mésusage des chars que la valeur intrinsèque des matériels engagés qui conduisit à la débâcle française. Plus récemment, la réflexion autour des drones aériens a été déterminée par l’usage qu’en ont fait les États-Unis. Or, les guerres en Libye et au Haut-Karabakh ont montré que cette arme pouvait et risquait d’être bien autre chose qu’un « tueur » isolé de grand prix
  • Faire preuve de créativité dans les domaines cyber, spatial et maritime (sous-marin compris). Se contenter des fétiches de la puissance dont l’exhibition cache mal à présent les trous capacitaires n’est pas à la hauteur. Par exemple, il faudra considérer l’intérêt de constituer une véritable « flotte » de drones sous-marins. Cela devra en outre s’articuler aux grandes orientations qui seront données dans le cadre de la planification écologique. Par exemple, le développement massif du parc éolien offshore (au large) devra être anticipé. Les besoins en matière de souveraineté numérique (cloud) et industrielle (fonderie, câbles) devront être formalisés

Vers une « dissuasion spatiale » ?

Pour l’heure, disposer d’un arsenal atomique représente une garantie pour la sécurité des Français·es. En l’absence d’un processus multilatéral crédible de désarmement complet, nous ne souhaitons pas y renoncer.

La doctrine doit d’ailleurs être rétablie dans sa rigueur. La dissuasion nucléaire ne peut pas se partager. Elle est une capacité strictement souveraine dans sa conception et sa mise en œuvre. Elle vise à protéger les intérêts vitaux de la nation et non à servir de parapluie à quelque ami que ce soit. Prétendre la mettre au service des Européens, comme le dit Emmanuel Macron, ou pire des membres de l’Otan, est une erreur. Elle ferait de l’escalade nucléaire la suite logique de toute agression que subirait un pays ami, quand bien même les intérêts fondamentaux de la patrie ne sont pas atteints.

Nous devons surtout penser l’avenir de la dissuasion. Sa crédibilité à vingt ou trente ans est incertaine. Pourtant, le programme de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de 3ème génération est censé nous conduire jusqu’en 2080. Les investissements dans le domaine sont considérables : 37 milliards d’euros pour la seule période 2019-2025, environ un cinquième du budget global de la défense.

De plus, la dissuasion est désormais contournée « par le bas » et les grandes puissances développent toutes des techniques qui pourraient remettre en cause à moyen terme sa crédibilité.

Ainsi, les projets de « bouclier anti-missiles » rendraient l’idée d’une riposte nucléaire illusoire et donneraient donc un avantage décisif à qui voudrait lancer une offensive.

Les armes hypervéloces pourraient même à moyen terme être utilisées d’une façon offensive. Dans ce cas, elles pourraient être si rapides qu’il serait impossible de savoir de quel pays elles proviennent ni de décider de la riposte nucléaire impliquée par la stratégie de dissuasion.

Une autre menace pèse sur la dissuasion : la fin de l’indétectabilité des sous-marins. Selon certains, l’immense réseau des câbles sous-marins qui traversent le monde pourrait constituer un excellent support à des moyens clandestins de détection des objets sous-marins. L’utilisation massive de drones pourrait aussi atteindre cet objectif.

Enfin, nos sous-marins pourraient dans quelques années être repérables du fait de la production par leur système de propulsion nucléaire de certaines particules, les antineutrinos, que la science permet désormais d’identifier. En 2015, une carte du monde de l’activité nucléaire déduite à partir de la présence d’antineutrinos a été largement diffusée. Elle était trop imprécise pour identifier des sous-marins et l’outil de détection est encore trop massif pour être utilisé facilement. Mais demain ?

Il pourrait également exister à terme des vulnérabilités dans le domaine informatique et des communications. La sophistication toujours plus grande des attaques cyber et le développement d’armements spatiaux permettant d’infliger des dommages insoutenables ou impossibles à attribuer à une puissance ennemie pourrait mettre la France face au fait accompli d’une attaque sans être en mesure d’y riposter.

Ces ruptures technologiques appellent un effort diplomatique particulier de la France pour mettre à jour les traités, par exemple en négociant un nouveau traité de l’espace ou en élaborant un droit international cyber.

Pour autant, il n’est pas question d’attendre. Les nouvelles technologies peuvent ouvrir la voie à des stratégies dissuasives qui ne seraient pas nucléaires. Disposer des moyens d’atteindre à coup sûr un dispositif de sécurité en son cœur du fait d’un avantage technologique pourrait bien être l’enjeu de la future dissuasion française. Ce pourrait être le cas d’une dissuasion spatiale dont la capacité à désorganiser une société en visant le cœur de ses infrastructures serait moins létale, mais potentiellement aussi dissuasive que l’arme nucléaire elle-même.

Nous donnerons à la recherche les moyens d’avancer au plus vite dans cette direction afin de disposer des moyens techniques et des doctrines adéquates pour prémunir la France de tout retard.

Une telle approche pourrait par ailleurs rendre caducs les arsenaux nucléaires et permettre d’avancer sur la voie du désarmement qui sera un objectif clair. Elle cherchera à restaurer et étendre la portée des traités abandonnés ces dernières années, notamment en y incluant la Chine.

Parallèlement, la France reconnaîtra la légitimité de l’approche des promoteurs de l’interdiction des armes nucléaires en participant comme observateur au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN). 

Choisir le non-alignement et l’action multilatérale 

Pour promouvoir la paix et la coopération à l’échelle mondiale, construire notre indépendance est une nécessité absolue. Nous affirmons donc la nécessité de :

Renforcer l’ONU pour faire vivre un monde ordonné

Quelles que soient ses imperfections, l’ONU est la seule organisation universelle reconnaissant l’égalité entre États et entre peuples. Elle est donc la seule instance légitime à œuvrer à la sécurité collective et à produire un droit global. Face à l’aggravation des tensions internationales, les motifs de conflit de tous types doivent y être mis en discussion.

  • Refuser d’engager la France dans une intervention militaire sans mandat de l’ONU
  • Mettre des moyens à la disposition de la formation d’une force militaire onusienne permanente, et de faire vivre le comité d’état-major de l’ONU pour commander les opérations de maintien de la paix
  • Constituer un détachement de Casques bleus pour faire face aux catastrophes naturelles
  • Relancer des processus multilatéraux de désarmement nucléaire et conventionnel dans le cadre de la Conférence du désarmement de l’ONU. Nous prendrons des initiatives pour une interdiction complète des « systèmes d’armes létales autonomes » (SALA)
  • Réinvestir des forums de discussion sous employés tels que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)
  • Réaliser un audit des accords de défense dans lesquels la France est engagée et dénoncer les éventuels partenariats indignes
  • Lutter contre la privatisation des conflits et contre le développement du mercenariat

Sortir de l’Otan

L’Otan aurait dû être dissoute à la fin de la Guerre Froide. Au contraire, elle n’a cessé depuis de s’étendre, provoquant des tensions et la méfiance. Elle a été au cœur de la « guerre globale contre le terrorisme » débutée par les désastreuses interventions en Afghanistan et en Irak. Elle sert aujourd’hui Washington dans son projet de contenir l’influence chinoise. Le retour de la France dans son commandement intégré en 2008 a été présenté comme un pari. Il n’a pas été gagné. Il cantonne la France à n’être aux yeux du monde qu’un faire-valoir des États-Unis et l’empêche de se faire entendre comme une puissance universaliste. Pour recouvrer son indépendance nous proposons :

  • Le retrait immédiat de la France du commandement intégré de l’OTAN puis, par étapes, de l’organisation elle-même
  • L’annulation de l’installation du Centre spatial de l’Otan à Toulouse
  • La rupture avec le choix d’alignement sur les États-Unis qu’implique le concept « d’indo-pacifique ». Puissance de l’océan Indien et de l’océan Pacifique, la France y défendra ses propres intérêts. Elle ne se mettra à la remorque d’aucune superpuissance

En finir avec le mythe de l’Europe de la défense

« L’Europe de la défense » n’a toujours aucune réalité en dépit de plus de vingt ans de bavardages officiels à son sujet. C’est un miroir aux alouettes, antidémocratique par définition, otanienne par sa conception, inefficace depuis toujours dans les très maigres segments qu’elle a voulu constituer. Parmi nos propositions :

– Mettre un terme aux programmes franco-allemands d’avions et de chars “du futur” (SCAF et MGCS) pour développer des projets français auxquels les nations éventuellement intéressées pourront prendre part dans des conditions mutuellement avantageuses

– Retirer la France du quartier général de la défense européenne

– Limiter nos coopérations stratégiques aux pays ayant des centres et des aires d’intérêt commun, en particulier au service de la paix dans le bassin méditerranéen, et/ou aux projets augmentant notre autonomie stratégique

– Désobéir aux traités européens qui obligeraient à remettre en cause la singularité militaire, y compris pour les pompiers. La directive sur le temps de travail ne leur sera pas appliquée

Finir la guerre au Mali

La présence militaire française au Mali est devenue intenable. L’intervention n’a jamais eu de but politique clair. Elle n’a pas permis de stopper le recrutement par les groupes armés. Contrairement aux justifications initiales, les renseignements français ont fini par convenir qu’aucun attentat sur le sol français n’a été élaboré ou commandité depuis le Mali. Emmanuel Macron a montré à plusieurs reprises qu’il concevait la zone subsaharienne comme un « pré carré » de la France. Cette mentalité a dilapidé le crédit dont la France pouvait encore jouir en 2017 auprès des peuples africains. Aujourd’hui, même la présence de la force Takuba regroupant des effectifs des forces spéciales de divers pays européens est compromise. Elle était pourtant la vitrine de l’action militaire française au Sahel. Il est temps de permettre aux Malien·nes d’assumer leur destinée, comme ils en ont exprimé la volonté plusieurs fois. Il faut pour cela créer les conditions d’un retrait ordonné. Seule l’ONU peut y parvenir puisque la légitimité du gouvernement malien est elle-même sujette à caution. 

Démocratiser la politique de défense

La 6e République que nous voulons devra rendre aux citoyen·nes et au Parlement un plus grand pouvoir d’initiative et de contrôle, y compris en matière de défense nationale. Sans préjuger des choix de l’Assemblée constituante, nous proposons :

L’information et la consultation régulière du Parlement en cas d’OPEX

La réforme constitutionnelle de 2008 avait établi un principe : après quatre mois d’opération extérieure, le Parlement doit être consulté. Dans la pratique, concernant l’opération Barkhane, il n’a voté qu’une fois après quatre mois. Et plus jamais depuis ! Cette trop grande latitude laissée à l’exécutif n’est pas démocratique. Elle encourage son habitude de diriger les opérations au gré de stratégies erratiques.

D’une manière générale, l’information du Parlement concernant les opérations est gravement insuffisante. Lorsque des morts sont à déplorer parmi nos forces, les résultats de l’enquête de terrain devraient par exemple être transmis aux commissaires de la défense.

Cette opacité a des effets délétères. Elle affaiblit la « communication stratégique » des armées. En effet, en l’absence d’une instance de contrôle pluraliste devant laquelle l’exécutif doit rendre compte, toutes les rumeurs et opérations d’intoxication finissent par trouver une crédibilité. Aucun démenti ne peut y être opposé. En revanche, le contrôle par le Parlement donne des moyens de crédibilité aux « versions officielles » touchant des événements sensibles. L’instrumentalisation du bombardement meurtrier de Bounti, au Mali, aurait été considérablement moindre si la commission de la défense avait pu exercer un contrôle rigoureux de l’action militaire de l’exécutif. 

Le contrôle des transferts d’armements et des biens à double usage

Ratifié en 2014, le Traité sur le commerce des armes n’a notoirement pas été respecté ces dernières années. Les délibérations de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations des matériels de guerre sont secrètes. Cela ne peut constituer une raison suffisante pour empêcher que le Parlement contrôle les actes pris par l’exécutif en la matière. À l’exemple de la plupart des démocraties du monde, nous instaurerons un contrôle a posteriori des exportations d’armements et des biens à double usage. Cette mesure devra s’inscrire dans le cadre plus large d’une réforme du secret de la défense nationale.

La protection des libertés publiques

Depuis plusieurs années, une tendance dangereuse s’est affirmée : la confusion entre sécurité publique et défense. L’évocation d’un continuum sécurité-défense sert de justification à la militarisation des actions de police et à la restriction des libertés publiques. L’inscription de l’état d’urgence dans le droit ordinaire au début du mandat d’Emmanuel Macron en est emblématique, comme la tentation de recourir à l’armée pour régler toute sorte de problèmes : le maintien de l’ordre en manifestation, dans les banlieues, etc.  Ce que nous ferons :

  • Refuser cette instrumentalisation inepte des forces armées et permettre à nos soldats de se concentrer sur leurs missions
  • Mettre un terme à l’opération Sentinelle, coûteuse et inefficace. Elle use inutilement les soldats. Elle les expose. Elle repose sur l’idée d’un quadrillage total du territoire qui permettrait aux soldats d’intervenir en cas de nécessité. C’est bien entendu illusoire : la lutte contre les attentats ne saurait être une affaire de prise en flagrant délit.

La réforme de la deuxième section

Souvent annoncée, généralement voulue, mais jugée délicate, la réforme de la « deuxième section » des officiers généraux  a été rendue plus nécessaire que jamais par l’abus qu’en ont fait quelques-uns. Son existence doit être interrogée.

Une défense du peuple, la conscription citoyenne

Agir pour la paix ne signifie pas priver la République des moyens de se défendre. On ne saurait d’aucune façon limiter son indépendance militaire, condition sine qua non de l’indépendance diplomatique. Mais en aucun cas la Défense ne peut en rester à une conception étroite du « domaine réservé » du président de la République. Ni ne reposer que sur une armée professionnelle, aussi loyale et compétente soit-elle.

Le Service national universel sera arrêté. C’est un caprice d’Emmanuel Macron qui n’apporte rien à la défense nationale. Sa visée est essentiellement folklorique puisqu’il s’agit de faire connaître la vie de caserne à des jeunes gens de seize ans durant deux semaines. 

Une conscription citoyenne obligatoire sera créée. Face à l’érosion du lien armée-nation provoquée par la suspension de la conscription en 1997, il est essentiel de redonner à la Nation la souveraineté sur son outil de défense. Le service national est un acquis de la Révolution française, qui a vu le corps social établir sa souveraineté sur un domaine central du pouvoir régalien. Il est intimement lié à la figure du soldat-citoyen, née à Valmy et pilier historique de la défense de la République. Nous proposons la création d’une conscription citoyenne obligatoire de neuf mois pour les hommes et les femmes. Il s’agit d’opérer une double rupture : contre l’expulsion du peuple de la gestion des questions de sécurité et de défense ; contre la précarisation généralisée de la jeunesse, symbolisée par exemple par les interminables expériences de stages non ou peu rémunérés, en faisant de ce service une étape de formation visant à sécuriser les citoyen·nes. La conscription que nous souhaitons mettre en œuvre :

  • Sera mixte et une vigilance particulière sera apportée face au risque de pratiques sexistes 
  • Sera effectuée entre 18 et 25 ans
  • Sera rémunérée au SMIC 
  • Comprendra une formation militaire initiale (avec droit à l’objection de conscience) au maniement des armes et aux manœuvres, et des formations ponctuelles dans d’autres secteurs (aux côtés des effectifs professionnels de la police, gendarmerie, sécurité civile (pompiers, agents des eaux et forêts), premiers secours). Elle pourra être prolongée sur la base du volontariat, dans la limite des besoins des armées et des autres secteurs accueillant les recrues
  • Sera proche du lieu de vie, en limitant le « casernement » aux fonctions qui l’exigent impérativement 
  • Comportera un volet d’éducation civique et de formation aux enjeux géopolitiques
  • Ne pourra en aucun cas permettre l’envoi de conscrit·es en OPEX

Cette conscription constituera le socle d’une Garde nationale permettant la refonte des réserves actuelles :

  • Mobilisable en cas de crise sécuritaire, écologique, industrielle : accident nucléaire, tempête, pollution maritime, catastrophe industrielle, etc.
  • Affectée à la sécurité des installations d’importance vitale pour la Nation ou autres lieux à protéger, et au renforcement des capacités de cyberdéfense

Protéger les militaires et leurs familles

Auditer les dispositifs de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM). Au cours du quinquennat, l’administration du ministère a engagé une réforme de la rémunération dont très peu d’éléments ont été communiqués au public. Censée simplifier le système devenu peu lisible, son équilibre final recherché et son effet réel sur le pouvoir d’achat des militaires sont totalement inconnus. Nous auditerons l’ensemble du projet et nous assurerons qu’il ne constitue pas une énième réforme en vue d’économiser au détriment des soldats.

Garantir la spécificité du régime de retraite des militaires. La réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron devait porter atteinte au régime de retraite des militaires comme au régime général. Nous ne reviendrons pas sur cette spécificité.

Rendre des moyens au service de santé des armées (SSA). Ce service indispensable a été victime d’une austérité calamiteuse au cours des derniers mandats, marqué notamment par la vente de sites majeurs comme le Val de Grâce. Le SSA est pourtant une ressource extraordinairement précieuse, pour les soldats et pour les citoyen·nes. L’épidémie de Covid-19 a montré à la fois sa grande maîtrise et son incroyable sous-dotation. Le déploiement d’un seul élément mobile de réanimation (EMR) lui a quasiment fait atteindre ses limites. L’objectif intangible selon lequel les blessés en opération doivent être pris en charge au plus vite, dans le délai de l’heure décisive, n’est pas le seul objectif des missions du service de santé de armées. Il est temps de lui rendre des moyens, y compris dans le domaine de la recherche. Nous arrêterons les fermetures de site et mènerons un audit afin de définir quels établissements doivent être rouverts. Nous ouvrirons à son personnel le bénéfice du décret n° 2020-1152 du 19 septembre 2020 relatif au versement d’un complément de traitement indiciaire aux agents des établissements publics de santé.

Simplifier l’accompagnement des blessé·es psychiques. Nous permettrons que le diagnostic d’un médecin du service de santé des armées suffise à obtenir l’aide due. Aucune autre démarche en vue de l’indemnisation ne sera demandée aux blessé·es.

Assurer une action volontariste pour enrayer le bizutage et le harcèlement dans le cadre militaire. Il est de première importance que toutes celles et ceux qui souhaitent servir la patrie puissent le faire sans crainte. Outre qu’il s’agit d’un droit, il faut faire observer que la diversité des profils est un facteur incontestable de « supériorité opérationnelle » et qu’à l’inverse toute atteinte à l’esprit de solidarité et de camaraderie affaiblit l’institution.

Accompagner les familles des militaires au quotidien. Nous donnerons la priorité à l’emploi et  à la formation des conjointes et conjoints. Nous nous assurerons que l’offre de logement soit suffisante et digne. Nous développerons les capacités de garde des enfants. Nous assurerons que tous les moyens compatibles avec les nécessités de leur service sont disponibles pour permettre aux soldats, notamment célibataires géographiques, de rester en contact avec leurs proches.

Créer un office parlementaire de médiation et de conciliation. Le Parlement doit se doter d’une instance permanente permettant d’apprécier finement la situation des militaires et éventuellement de leur offrir son soutien dans les difficultés qu’ils rencontrent parfois dans leur carrière.

Assurer la protection des personnels civils ayant travaillé pour nos armées. Malgré sa promesse Emmanuel Macron n’a pas clos le dossier des interprètes afghans. Demain, avec le retrait du Mali, la question sera à nouveau posée. Nous ferons en sorte que la France apporte sa protection à celles et ceux qui ont choisi et pris le risque de l’aider.

Constituer un pôle public de l’armement et protéger le patrimoine économique et industriel du pays

Les armes ne sont pas des marchandises comme les autres. La logique commerciale est par essence une logique de prolifération alors qu’en la matière il faut viser la régulation et la diminution.

De plus, la France ne saurait dépendre de fournisseurs étrangers pour assurer sa protection.

Enfin, le bilan des dernières décennies de privatisation des industries de défense est inquiétant. Accordant de plus en plus d’importance, à l’export, les besoins des armées françaises deviennent petit à petit des variables d’ajustement pour la production et la vente. En partant des besoins de nos armées, les industriels pourraient dans la plupart des cas avoir des carnets de commandes suffisants pour maintenir un outil de haute qualité et continuer à investir dans la recherche et le développement.

Du petit calibre aux équipements les plus complexes, nous créerons donc un pôle public de l’armement afin de :

  • Mettre la satisfaction des besoins domestiques au cœur de ces industries en permettant une action planificatrice de l’État
  • Subordonner l’exportation des armements aux principes du droit international et aux partenariats politiques définis démocratiquement par la France
  • Apporter une solution au risque de sous-financement des industries de défense régulièrement pointé depuis plusieurs années par les industriels eux-mêmes et le secteur bancaire

Afin de renforcer les capacités industrielles et les moyens logistiques des armées, nous choisirons de :

  • Faire prévaloir le principe de l’acquisition du matériel français, y compris en matière informatique, et annuler les contrats de service qui contreviennent à ce principe
  • Mettre l’accent sur l’approvisionnement en munitions et engager une réforme des bases de défense
  • Faire un audit de l’activité de l’Agence de l’innovation de défense que nous adosserons aux grands organismes de recherches publiques de l’enseignement supérieur
  • Mettre en application les propositions du rapport parlementaire rédigé par Bastien Lachaud sur la cyberdéfense
  • Renforcer la protection des entreprises de défense face aux prises de contrôle étrangère
  • Renforcer le statut d’ouvrier d’État au sein de la Direction générale de l’Armement
  • Remettre le service de l’État au cœur de la carrière des Polytechnicien·nes et des autres étudiant·es des établissements sous la tutelle du ministère de la Défense

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