Tout au long de la campagne, de nombreuses organisations (associations, syndicats, collectifs, etc) sollicitent Jean-Luc Mélenchon pour qu’il détaille ses propositions sur des enjeux qui les concernent. L’équipe du programme et les groupes thématiques répondent, pour chacune de ces demandes, en développant des points précis de notre programme l’Avenir en commun.
Réponse au questionnaire de la Fédération Française des Associations de Commerçants
Cher Monsieur Saugues,
Nous avons reçu avec plaisir le questionnaire de la Fédération Française des Associations de Commerçants qui porte des enjeux auxquels l’Union populaire est sensible, et pour lesquels les député·es de la France insoumise se sont battu·es tout au long de ce quinquennat.
Nous sommes conscients que les commerces, et notamment les commerces de proximité, représentent :
- un enjeu économique majeur, avec 8% de l’emploi en France et 2,2 millions de salariés ;
- un enjeu essentiel pour la qualité de vie et pour l’égalité, aux côtés des services publics, que nous réouvrirons dans les territoires qui ont été désertés ;
- un enjeu majeur pour la bifurcation écologique de notre économie, tant la fermeture de commerces de centre-villes contribue à l’étalement urbain et l’augmentation des trajets routiers.
Le constat est clair : il n’y a plus de véritable politique d’aménagement commercial dans notre pays.
Depuis les années 80, les gouvernements successifs ont permis le développement anarchique de zones commerciales en périphérie, qui ont provoqué des disparitions de commerce de proximité et des destructions d’emplois massives.
La France est un des pays qui compte le plus de mètres carrés commerciaux d’Europe. Pourtant, la vacance dans les locaux de centre-ville augmente : elle a atteint plus de 11 % en 2021 ! La fréquentation des commerces de centre-ville a baissé de 38 % depuis 2013. Les zones commerciales, pour lesquelles nous avons sacrifié des milliers d’hectares de terres agricoles, connaissent désormais une vacance de 13%.
La fermeture des commerces a contribué à dégrader l’environnement social de nombreux centres villes et a encouragé l’étalement urbain en périphérie. Ce fléau pour nos terres agricoles et naturelles a également rendu la majorité de nos concitoyennes et concitoyens dépendants de leurs voitures, et, de ce fait, vulnérables à l’évolution du prix du carburant. Il a augmenté les trajets en voiture et nos émissions de gaz à effet de serre.
La crise des Gilets jaunes a mis en lumière à quel point ces problématiques sont essentielles pour les Français. Une corrélation très nette entre les lieux de mobilisations des Gilets jaunes et la désertification des centre-villes a d’ailleurs été démontrée.
Alors que nous commencions à observer un ralentissement des implantations de zones commerciales en périphérie, une nouvelle menace, plus terrible encore, s’étend rapidement sur nos territoires : l’implantation agressive d’entrepôts de e-commerce exploités par des multinationales, ne payant peu ou pas d’impôts en France. Depuis la dernière élection présidentielle, le nombre d’entrepôts Amazon autorisés en France a augmenté de 411 %, dépassant la quarantaine de sites !
Aujourd’hui, nous continuons à autoriser des zones commerciales et des entrepôts de e-commerce à proximité de centre-villes touchés par la vacance commerciale, parfois même alors que l’État engage par ailleurs des fonds publics en vue de revitaliser ces centres-villes, dans le cadre du programme « cœur de ville » par exemple.
Le commerce connaît désormais des bouleversements tels que nous craignons un choc pour l’emploi semblable à ce que fut la « désindustrialisation » de notre pays dans les années 1980.
Notre programme, l’Avenir en commun, se donne pour projet de relocaliser les productions essentielles à la vie de notre pays et d’engager un plan de reconstruction industrielle pour mettre fin à la dépendance de la France dans des domaines stratégiques.
Le commerce est le pendant de cette relocalisation. Nous protégerons les commerces afin de préserver les 2,2 millions d’emplois salariés du secteur et d’en créer de nouveaux. Nous ferons de la réouverture des commerces de centre-ville un pilier majeur de notre politique écologique et de cohésion du territoire.
Vous trouverez ci-après des réponses détaillées aux enjeux que vous avez bien voulu porter à notre attention, précisant les mesures que l’Union populaire s’engage à mettre en place, avec Jean-Luc Mélenchon président et sa majorité parlementaire.
Concurrence déloyale entre formes de commerce et déséquilibres territoriaux
L’expansion rapide des géants du e-commerce – qui fraudent toutes les règles – a un impact dévastateur sur notre économie. 85 000 emplois (en solde net) ont été détruits dans le commerce non alimentaire français ces dix dernières années, du fait de la prise de contrôle de multinationales du e-commerce comme Amazon, Shein, Zalando, Wish etc. Il s’agit du plus grand plan social en cours en France. Nous redoutons l’hécatombe qui pourrait résulter de la pénétration plus avant du e-commerce dans la branche alimentaire.
Les places de marché du e-commerce sont également responsables d’une fraude généralisée à la TVA, qui a couté 5 milliards d’euros à l’État en 2019. Outre le manque à gagner pour les finances publiques, il s’agit d’une concurrence déloyale majeure pour les commerces français depuis des années. Les services de l’État ont d’ailleurs alerté le gouvernement sur le risque réel d’une prise de position dominante de l’entreprise Amazon en France, sans réponse concrète à ce stade..
D’un point de vue environnemental, l’e-commerce accroît les ventes de produits à bas coût fabriqués dans des conditions sociales et environnementales catastrophiques. Il augmente le trafic routier total en France et utilise massivement le fret aérien, 100 fois plus polluant que le fret maritime. Plus de 367 millions de colis e-commerce ont été livrés par avion en France en 2021.
Nous nous engageons à mettre fin aux passe-droits fiscaux et environnementaux accordés aux géants du e-commerce par Emmanuel Macron et sa majorité.
Durant ce quinquennat, rien n’a été fait pour une politique durable en faveur du développement pérenne du commerce local. Au contraire, la majorité a fait le choix de favoriser réglementairement et fiscalement les géants du e-commerce, aggravant la situation de concurrence déloyale qui sévissait déjà dans notre pays et risquant de provoquer des faillites en cascade.
Depuis le début de son quinquennat, le président Emmanuel Macron a ainsi accordé aux multinationales du e-commerce plusieurs avantages :
- l’exemption de l’autorisation d’exploitation commerciale (Loi ELAN, 2018).
- l’exemption du moratoire sur l’artificialisation (Loi Climat et Résilience, 2020).
- la réduction par deux de leurs impôts locaux et leur exemption de TASCOM (Loi de Finances 2019).
- le maintien d’un régime insuffisant pour lutter contre la fraude à la TVA (Loi anti-fraude, 2018).
Les député·es de la France insoumise ont systématiquement combattu ces mesures déloyales. Elles et ils se sont notamment mobilisés pendant la loi Climat contre la décision du gouvernement d’exempter les entrepôts de e-commerce du moratoire sur l’artificialisation des sols au delà de 10 000m2.
Nous nous engageons à mettre en œuvre à notre élection:
- L’interdiction de la création de nouveaux grands entrepôts dédiés au stockage et à la vente à distance par les pure-players du e-commerce.
- L’interdiction de la création de « cuisines fantômes (« dark kitchens ») ou « magasins fantômes » (« dark stores »)
- L’assujettissement à la TASCOM des entrepôts des pure-players e-commerce et pour la fraction de vente en ligne des entrepôts omnicanal.
- Le durcissement de la lutte contre la fraude à la TVA.
- La fin des niches fiscales sur le kérosène pour limiter le dumping du e-commerce depuis l’étranger.
- Une taxe kilométrique aux frontières et des droits de douanes en fonction des conditions de production et de rémunération.
- Création de plateformes numériques publiques pour mettre en relation usager·es et travailleur·ses, tant pour des services matériels qu’immatériels, et financement de plateformes numériques d’intérêt général, sous forme coopérative notamment.
Par ailleurs, les loyers commerciaux représentent aujourd’hui des coûts fixes très lourds pour de nombreux commerces. En tant que tels, ils limitent la capacité pour les commerces de petite taille à employer des salariés. Ces loyers sont par ailleurs souvent perçus par d’importantes foncières de l’immobilier commercial, beaucoup moins intensives en emplois que les commerces.
Le refus du gouvernement d’annuler les loyers commerciaux pendant les périodes de fermeture des commerces du fait de la crise sanitaire a fait peser un très lourd tribut aux commerces. Le remboursement de ces arriérés de loyers ainsi que des prêts garantis par l’État (PGE), dans une période où la fréquentation de nombreux commerces continue de baisser aux profits des acteurs du e-commerce (qui, eux, n’étaient ni fermés, ni contraints à une quelconque réglementation) met gravement en danger l’avenir de nos commerces.
Pour préserver les commerces actuels et permettre la relocalisation de productions sans une augmentation importante des prix, il est essentiel de mener une politique d’encadrement des loyers commerciaux, notamment pour les commerces de centre-ville de petite taille, pour les commerces s’inscrivant dans le cadre d’une filière concernée par un plan de relocalisation, ainsi que pour les commerces créateurs d’emplois.
Soutiens aux commerces
Le projet politique de l’Union populaire est de rétablir l’équité entre les PME et les grands groupes.
C’est indispensable, alors que le taux effectif d’imposition des grands groupes est inférieur de près de 6 points à celui des petites entreprises, alors que ces dernières ont été particulièrement mises en difficulté par la pandémie.
Ainsi, si nous sommes élus en 2022, l’Union populaire mettra en place :
- Le report de deux ans l’échéance de remboursement des 30 milliards de prêts garantis par l’État aux commerces, pour éviter tout problème de trésorerie.
- La création d’une caisse de défaisance pour reprendre les dettes privées asphyxiantes des TPE/PME contractées pendant la pandémie.
- La refonte de l’impôt sur les sociétés pour le rendre progressif en fonction des bénéfices et favoriser les entreprises qui investissent plutôt que celles qui distribuent des dividendes.
- La possibilité de privilégier les PME locales dans les marchés publics. Cela nécessite de désobéir règles absurdes de l’Union européenne : nous l’assumons.
- La création d’un pôle public bancaire pour permettre aux très petites entreprises (TPE) et notamment aux commerces d’accéder au crédit sur des critères sociaux et écologiques, là où les banques privées ne leur accordent aujourd’hui que très difficilement des financements.
- La mise en place d’une caisse de péréquation interentreprises financée pour mutualiser la contribution sociale entre petites et grandes entreprises grâce à un barème progressif : les entreprises cotisent à la caisse selon leur bénéfice, et reçoivent de la caisse selon leur nombre de salariés.
Par ailleurs, nous défendons un projet économique qui repose sur l’augmentation du pouvoir d’achat des classes populaires et des classes moyennes, ce qui stimulera la demande auprès des commerces, que nous avons notamment détaillé dans notre plan d’action relatif au plein emploi.
Les commerces orientés sur les biens et services écologiques bénéficieront également de l’effet de relance du plan de 200 milliards d’euros dans la bifurcation écologique et solidaire.
Gouvernance des enjeux commerciaux et formation des acteurs du commerce
Le manque d’association des commerces à la prise de décision publique se traduit par exemple dans le fait qu’il n’y ait pas de Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) ou nationale (CNAC) statuant sur les implantations d’entrepôts de e-commerce. Elle se traduit également dans le fait que les représentants des commerces n’ont pas de véritable poids dans les CDAC ou les CNAC.
La méthode de la planification écologique que nous mettrons en œuvre afin d’opérer la bifurcation dont notre pays a besoin sera radicalement démocratique. Pour ce faire, nous nous appuierons sur les communes, avec le concours des branches professionnelles et de leurs représentants. La contribution des commerçants à cette politique sera indispensable, et ne pourra se faire sans ou contre eux.
Nous entendons également votre alerte sur la nécessité de postes et de dédiées aux enjeux du commerce nécessaires pour mener à bien une politique de valorisation des centre-villes. Les politiques de réduction des moyens financiers des collectivités ont clairement aggravé la situation, ainsi que le développement des échelons technocratiques comme les métropoles et intercommunalités géantes, qui ont récupéré les compétences liées au développement économique. Cela a conduit à davantage déstructurer encore les politiques locales en faveur du commerce, alors même que la situation était rendue critique par le développement massif et anarchique des zones commerciales.
Au contraire, nous renforcerons les moyens des collectivités, notamment pour les territoires et régions en retard de développement économique et social, qui sont souvent également celles qui souffrent le plus de la désertification commerciale. Nous rendrons leur liberté d’association aux communes et mettrons fins aux intercommunalités géantes.
Nous favoriserons l’octroi d’aides spécifiques à l’installation d’artisans et de commerçants par les collectivités, aujourd’hui également interdites par les règles absurdes de l’Union européenne.
Enfin, nous investirons massivement dans le retour des services publics de proximité, comme les bureaux de poste ou les Caisses d’allocation familiales par exemple : leur disparition a grandement contribué à la désertification des centres-villes et donc au déclin du commerce local. Leur retour favorisera un nouvel essor du commerce.
Territoires d’Outre-mer
Réussir le développement des Outre-mer implique le retour d’une politique de production responsable et relocalisée. Il faut mettre fin aux économies de dépendance du continent européen dans lesquelles les Outre-mer ont été enfermés.
Il faudra conclure des accords commerciaux honnêtes et équilibrés, respectant les impératifs sociaux et écologiques et refusant la concurrence déloyale avec les pays voisins de chaque territoire.
Pour accompagner les commerçants des Outre-mer, nous proposons l’instauration d’un bouclier douanier via une taxe kilométrique en faveur des productions locales à faible empreinte écologique. Nous appliquerons également une préférence commerciale pour les produits ultramarins vers l’Hexagone et l’Europe et mettrons en place des partenariats commerciaux équilibrés avec les voisins régionaux.
Nous espérons que ces propositions trouvent de l’écho auprès de la Fédération Française des Associations de Commerçants.
Nous vous remercions encore une fois d’avoir soulevé ces enjeux auprès de nous.
Nous restons à votre entière disposition.