La lettre de Jean-Luc Mélenchon aux professeurs et aux personnels de l’éducation nationale

À quelques semaines de l’élection présidentielle, je m’adresse à vous, personnels de l’éducation nationale.

Notre constat : une école appauvrie, des inégalités qui s’aggravent

L’école publique, laïque et gratuite est ouverte à tou·tes les élèves et qualifie chaque année des millions d’entre elles et eux. Elle sort terriblement affaiblie de quinze années de politiques destructrices. Durant ce quinquennat en particulier, Jean-Michel Blanquer a attaqué les fondements du service public d’éducation pour le livrer au marché.

Les réformes néolibérales des trois derniers quinquennats ont creusé les inégalités. Les gouvernements successifs se sont accommodés de l’échec de milliers d’élèves. Ils ont fait de l’éducation un marché, de l’élève et des parents des client·es, des enseignant·es des exécutant·es, portant atteinte aux principes républicains d’égalité, de gratuité et de laïcité. Dans le même temps, les finalités de l’école ont été inversées au profit d’une vision minimaliste et utilitariste, subordonnée aux directives européennes qui promeuvent “l’économie de la connaissance”. Alors qu’elle doit éduquer les consciences libres et autonomes des citoyen·nes, l’école s’est vue assigner l’objectif de formater des individus employables, obéissants et adaptés au marché.

L’austérité a dégradé les conditions d’études. Le manque de professeur·es conduit à ne plus assurer les remplacements de milliers d’heures de cours, en particulier dans les établissements de l’éducation prioritaire.

Durant la crise sanitaire, le droit à l’éducation de millions d’élèves a été, sinon interrompu, très largement mis à mal faute de protocoles suffisamment protecteurs et de moyens financiers et humains.

L’égalité d’accès au service public de l’éducation n’est plus garantie. Les fermetures d’école se sont multipliées : depuis 2007, on a fermé une école par jour, principalement en zone rurale. Les réformes du collège et du lycée ont institué une école dans laquelle les contenus, les options et les spécialités proposées varient d’un établissement à l’autre. La politique de l’offre, appliquée à tous les niveaux du système éducatif, exacerbe la concurrence entre les établissements et renforce la ségrégation scolaire. L’enseignement privé et le soutien scolaire payant, quant à eux, prospèrent.

La précarité se généralise. Le gel du point d’indice et l’absence d’une revalorisation significative ont érodé le pouvoir d’achat d’enseignant·es déjà sous-payé·es par rapport aux pays voisins. La proportion de personnel contractuel, empêché de s’investir dans des projets éducatifs sur plusieurs années, ne cesse de croître. Le coût de l’école pour les familles, notamment pour les plus pauvres d’entre elles, constitue un obstacle à une scolarité sereine. Le désengagement des pouvoirs publics va jusqu’à abandonner des élèves dans des salles de classes surchargées et insalubres.

Le système éducatif est en danger. La crise de recrutement a été exacerbée au cours du quinquennat actuel. Les injonctions à l’autonomie des établissements, la généralisation du new public management (nouvelle gestion, qui impose au public les méthodes du privé), les atteintes à la liberté pédagogique, la multiplication des tâches bureaucratiques, des dispositifs d’évaluation et de contrôle, l’affaiblissement du lien au savoir, conduisent les enseignant·es à se sentir dépossédé·es de leur métier ; dépossession aggravée par l’absence de reconnaissance. Preuve inquiétante de la crise du métier : les démissions d’enseignant·es se multiplient.

Les réformes des trois voies du lycée et celle de l’accès à l’enseignement supérieur ont exacerbé les inégalités. La réforme du lycée général et technologique a conduit à sa désorganisation et à la disparition du caractère national du baccalauréat, qui constituait jusqu’alors la clef de voûte du lycée. Sa valeur dépend désormais de la réputation de l’établissement dans lequel il est préparé. Les réformes successives du lycée professionnel ont à la fois diminué les heures d’enseignement permettant aux élèves de disposer d’une culture commune et sabordé les fondements de la qualification : la voie professionnelle est abandonnée au profit du “tout apprentissage” réclamé par le MEDEF. Avec la mise en place de la plateforme Parcoursup, qui instaure la sélection, l’accès à l’enseignement supérieur n’est plus garanti à tout·es les bachelier·es. 

Ces attaques contre l’Éducation nationale ont ouvert la porte à la marchandisation et à la privatisation. Le service public d’orientation est en partie démantelé et certaines de ses missions sont confiées à des organismes privés. Le recrutement et la formation de certain·es contractuel·les ainsi que la conception d’une méthode de lecture imposée par le ministère sont confiés à des officines privées, comme “le Choix de l’école” et “Agir pour l’école”, financées par les lobbys patronaux. Le Medef fait pression pour imposer ses contenus d’enseignement et le ministère multiplie les partenariats avec les entreprises du CAC 40.

Notre projet : instruire et qualifier tou·tes les élèves 

L’école est le pilier de la République : elle forme des citoyen·nes libres. Elle prépare le futur de la nation. Face aux grands défis, notamment écologiques, elle doit amener chaque enfant au plus haut niveau de qualification.

Tou·tes les élèves sont capables de réussir. Elles et ils méritent des professeur·es qualifié·es, formé·es et en nombre suffisant, qui leur dispensent un enseignement de haut niveau.

Notre projet pour l’école est en effet inséparable de notre projet de société. À l’heure du défi climatique, l’école doit jouer un rôle décisif dans la préparation de la bifurcation écologique. Alors que les inégalités n’ont jamais été aussi fortes et que la société est traversée par de multiples tensions, elle doit s’affirmer comme un espace de coopération et d’échanges, plutôt que de concurrence et de compétition. Creuset du peuple en formation, elle doit devenir le lieu de l’éducation à l’intérêt général où l’individu se prépare à l’exercice d’une citoyenneté enrichie de nouveaux droits.

L’émancipation individuelle et collective est la boussole de notre projet éducatif.

Émanciper, c’est instruire. Seule richesse qui augmente pour chacun·e quand on la partage entre tou·tes, le savoir, en grandissant l’individu, grandit la société dans laquelle il vit. 

Émanciper, c’est qualifier. La qualification est la garantie d’une maîtrise professionnelle durable parce que susceptible de s’enrichir et d’évoluer. Reconnue par les conventions collectives, elle est source de droits sociaux. Face aux défis qui découlent de la crise écologique, l’élévation générale du niveau de qualification au service de la bifurcation écologique est une priorité absolue pour le pays.

Émanciper, c’est affranchir l’individu de toute influence, développer l’esprit critique, parvenir à l’autonomie pour être libre. Condorcet assignait à l’école la mission de « former des citoyens qui ne s’en laissent pas conter mais qui entendent qu’on leur rende des comptes ». Nous faisons nôtre cette formule.

Nos propositions : une école commune de la 6è République

Une école où il fait bon apprendre

L’école est un cadre de travail mais aussi un lieu de vie pour les élèves comme pour les personnels. Elle doit offrir les meilleures conditions possibles. Pour cela, nous proposons les mesures suivantes :

Assurer des locaux agréables et accessibles :

Faire de la cantine un lieu clé d’éducation et de convivialité :

Encourager la coopération :

Renforcer les services de vie scolaire :

Renforcer la prévention et l’éducation à la santé :

Lutter contre toute forme de violences à l’école :

Une école creuset pour combattre les inégalités

Garantissant l’égalité des conditions d’accès et d’apprentissage de tou·tes les élèves, l’école participe du combat contre les inégalités. Pour y parvenir, nous proposons les mesures suivantes :

Généraliser la gratuité et garantir la mixité :

Renforcer le cadre national du service public d’éducation :

Mettre en œuvre une politique de l’éducation prioritaire répondant aux besoins éducatifs :

Construire une école inclusive :

Une école qui apporte des savoirs à tous les élèves

Les besoins éducatifs sont croissants et la bifurcation écologique nécessite des qualifications élevées. Face à ces défis, nous proposons donc les mesures suivantes :

Garantir des moyens supplémentaires pour faire progresser tou·tes les élèves :

Les enseignant·es, clef de la transmission du savoir

Sans les enseignant·es, rien de ce que nous voulons entreprendre n’est possible. Nous voulons reconnaître leur haute qualification, fondée sur une double maîtrise scientifique et pédagogique. 

Revaloriser les traitements :

  • Revaloriser le traitement des personnels de 15 % pour rattraper le gel du point d’indice
  • Revaloriser les grilles indiciaires dans le cadre d’une négociation avec les organisations syndicales

Refonder la formation :

  • Créer des écoles professionnelles de l’enseignement, en lien avec le monde universitaire
  • Appliquer le droit à la formation continue sans autorisation préalable du ou de la chef·fe d’établissement 
  • Intégrer à la formation initiale des enseignant·es une solide formation à la sociologie de l’éducation, la pédagogie, la psychologie de l’enfant et de l’adolescent·e, et à la lutte contre les discriminations ; soutenir la recherche en éducation
  • Développer des partenariats entre l’Éducation nationale et des mouvements pédagogiques agréés et augmenter le contingent d’heures de décharges attribuées à ces derniers

Reconnaître l’expertise enseignante :

  • Alléger la charge de travail : suppression des activités pédagogiques complémentaire (APC) qui s’ajoutent au temps d’enseignement obligatoire en primaire ; libérer dans le 1er degré un temps hebdomadaire autogéré d’1h30, afin de permettre, pendant le service, la concertation et le travail coopératif de l’équipe enseignante 
  • Mettre en place une aide administrative et éducative aux directeurs et directrices d’école et améliorer le mode de décharge d’enseignement 
  • Abroger la loi Rilhac pour restaurer le fonctionnement collégial dans le premier degré
  • Renforcer les garanties statutaires, reconnaître le travail et l’engagement des personnels en réaffirmant la liberté pédagogique et en mettant fin aux dispositifs d’évaluation et de contrôle permanent
  • Redonner aux enseignant·es la pleine maîtrise de l’évaluation, en interdisant toute immixtion hiérarchique ; supprimer les évaluations nationales qui ont été imposées aux enseignant·es sans concertation
  • Créer un CAPES d’éducation socioculturelle et un CAPES de français langue de scolarisation pour les élèves allophones ; créer une agrégation des professeur·es documentalistes
  • Créer une base de données de ressources pédagogiques libres de droits pour une utilisation en classe, déconnectée des éditeurs privés

Recruter mieux en redonnant de l’attractivité au métier :

  • Mettre en œuvre un plan de pré-recrutement ouvert dès l’année de terminale et en licence afin de favoriser l’accès des jeunes de tous les milieux sociaux aux métiers de l’Education nationale 
  • Adopter un plan pluriannuel de recrutement pour l’ensemble des concours
  • Ouvrir des formations rémunérées de préparation aux concours afin de faciliter les reconversions professionnelles dans les métiers de l’Éducation nationale et reconnaître l’expérience professionnelle des salarié·es en reconversion

Offrir des perspectives d’évolution de carrière au plus grand nombre :

  • Doubler les postes ouverts à l’agrégation interne 
  • Assurer des horaires aménagés aux enseignant·es engagé·es dans la recherche ou préparant des concours
  • Offrir aux enseignant·es la possibilité de consacrer les deux dernières années de leur carrière au suivi des élèves en difficulté, à la coordination des projets de l’établissement et à la formation des enseignant·es stagiaires
  • Donner aux personnels qui le souhaitent le droit à obtenir un détachement dans d’autres métiers de la fonction publique
  • Rétablir les commissions paritaires pour garantir la défense des droits des personnels et une gestion transparente des carrières et des mutations

Transmettre les savoirs :

Octroyer plus de temps et mieux accompagner l’orientation :

Apporter une culture commune :

Accroître la qualification pour répondre aux défis de demain 

À l’heure du défi climatique et des mutations du système productif, les voies professionnelle et technologique sont indispensables à la hausse du niveau de qualification nécessaire à la planification de la bifurcation écologique. Nous voulons reconstruire les filières de l’enseignement technologique et professionnel, aujourd’hui dévastées, pour en faire des voies d’excellence. Pour cela, nous proposons de :

Développer l’enseignement professionnel et technologique public :

Élever le niveau de qualification des filières professionnelle et technologique :

L’école de la citoyenneté

L’école doit permettre aux élèves de s’investir dans des missions d’intérêt général et, avec l’abaissement du droit de vote à 16 ans, de se préparer à devenir des citoyen·nes. Afin d’atteindre cet objectif, nous proposons les mesures suivantes :

Éduquer à la citoyenneté :

Encourager la démocratie scolaire :

Faire des parents d’élèves des acteurs de la vie des établissements :

Une école laïque et libérée des influences

Laïcité et neutralité sont inséparables de notre projet d’école émancipatrice et ouverte. Pour garantir ces principes, nous proposons les mesures suivantes :

Étendre la laïcité :

Débarrasser l’école des lobbies et garantir sa neutralité :

Repenser la gouvernance de l’Éducation nationale :